Standing féminin

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Gautier.

Alias "Wisi" à cause d'un sombre jeu de mot moisi à propos de son prénom : Gautier, Gaut', goth, wisigoth.

De tous les crétins que j'ai pu connaître, Wisi demeurera pour l'éternité, le plus extrême des cons qui ont vécu entre les années 90 et 2000-et quelques.

Ce type n'avait rien pour lui. Aucun avantage. Ce qui est tout de même une chose plutôt exceptionnelle : n'avoir que des défauts.

Déjà il était moche. Mais vraiment laid. Pas très grand, plutôt épais, avec des cheveux frisottants en petit nombre et aux couleurs mal définies, quelque part entre le brun taupe et le roux délavé. Il cachait sous sa barbe clairsemée – pas mal rasée, pas mal coupée, pas mal entretenue ; non : juste clairsemée – des trous, croûtes, pustules, cicatrices et autres comédons qu'on pouvait qualifier d' "acnée persistante". Il puait de la gueule et il avait les chicots pourris et de travers. 

Et il ne possédait pas de sourcils.

Et il se rongeait les doigts.

On pourrait passer le reste du chapitre à rédiger l'inventaire des ingratitudes physiques dont il était affublé que ça ne serait toujours pas suffisant pour décrire sa laideur.

Mais malgré tous ses handicaps esthétiques, Gautier avait l'âme d'un séducteur.

Il avait appris par cœur toute une série de punchlines de dragueur professionnel et il se passionnait pour les blogs et forums consacrés à la chasse à la femelle. Il connaissait toutes les techniques d'approches, savait quand complimenter au bon moment, travaillait sans arrêt ses phrases et suivait même des cours en ligne de Programmation Neuro-Linguistique appliquée au domaine du discours et de la prise de parole.

S'il avait mis tous ces talents au service d'objectifs professionnels, il aurait sans doute fait un très bon commercial chez Fene'strass ou au Crédit Industriel Angevillin. Hélas, se dégoter un boulot n'était pas dans ses projets de vie et, à vrai dire, il précisait lui-même que travailler allait contre ses propres intérêts.

En effet, Gautier percevait une sorte de pension qu'il avait gagné à l'âge de dix-sept ans, suite à une baston de rue. Il avait perdu un morceau de mâchoire et le sens de l'odorat – le veinard n'avait donc plus à souffrir de sa propre haleine – et il boitillait un peu. Aidé par un avocat fort en gueule et la police d'assurance de ses parents, il avait obtenu un dédommagement sous forme de rente qu'il percevrait soit jusqu'au complet rétablissement de ses blessures, soit jusqu'à l'âge de trente-et-un ans, soit jusqu'à ce qu'il entre dans la vie active.

La somme était considérable puisque le juge s'était laissé convaincre que Gautier était promis à un bel avenir de tennisman (il avait été classé 131ème régional quand il était en sixième) et à une carrière brillante. C'était un parfait mensonge car juste après "l'incident" le proviseur de son lycée (qui était aussi son oncle) avait accepté de bidouiller son dossier scolaire en y mettant un encouragement à poursuivre ses études à la faculté catholique d'Angers.

Ce que l'histoire servie aux magistrats ne disait pas, c'était que Gautier n'avait plus touché une raquette de tennis depuis la cinquième, qu'il était nul en classe et que sa mère se demandait même s'il serait capable de bosser comme manutentionnaire dans la carrière d'ardoise familiale, tellement il était con. En plus de quoi, Gautier était quand même un peu responsable de son passage à tabac, puisqu'il avait eu la bonne idée de "monter un coup qui pouvait rapporter gros" en l'occurrence voler une cargaison de lecteurs blue-ray elle-même volée par une bande de petites brutes de son quartier.

Gautier adorait les films de gansters et le mauvais rap marseillais.

Depuis ses douze ans, il était persuadé qu'il se hisserait au sommet de la pègre angevilline et qu'il régnerait sur la ville, entouré de minettes sexy et de bros capables de donner leur vie pour son gang.

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