Dan et Joss.
Joss et Dan.
Daniel et Jocelyn. Les inséparables. Toujours à se marrer comme des gorets. À faire les mêmes blagues, à jouer aux mêmes jeux.
Je croyais que je ne verrais jamais deux mecs aussi potes et aussi complices de tout le restant de ma vie. Sans doute, ça sera le cas d'ailleurs. Des amitiés comme ça, on les qualifiait de rares, d'uniques, de fusionnelles.
Comment ils en étaient venus à se foutre sur la gueule ?
Pour quelle obscure raison, ce soir-là, devant nos yeux ébahis à tous, Dan et Joss s'étaient tapés ? Ou plus exactement pourquoi Dan avait collé son poing dans la gueule de son meilleur pote, pendant que Joss le traitait de tous les noms ?
À cause d'une fille ? Si oui, laquelle ?
À cause d'un vieux dossier ? Si oui, lequel ?
Pour une question de fric ? Dans ce cas, pour combien ?
Parce que l'un d'eux menaçait de livrer un gros et vilain secret sur l'autre ? Mais alors, quel secret ?
Personnellement, moi j'avais ma petite idée. Le truc, c'était que personne ne me croirait. En tout cas pas Fanny, ni Gautier, ni Mélanie, ni Hugues, ni les frangins Busy, ni les frangins Tal-Tal, ni les jumelles, ni Cendrine, ni Sandrine ni aucun des autres abrutis de la bande. En gros personne parmi les personnes présentes à la fête chez Fanny.
Et pourtant ils avaient tous été là à chaque fois qu'un nouveau caillou était tombé dans le jardin de l'amitié qui liait Daniel et Jocelyn.
Manque de sagacité de leur part ? Refus de voir la réalité en face ? Je n'en étais pas sûr. Mais depuis, avec le recul, je pense avoir trouvé la véritable raison d'un tel étonnement.
Tous ces jeunes gens amusants et souriants ne constituaient en fait qu'une belle brochette de connards.
Bon... peut-être pas Timothée ni les jumelles. Quoique...
En tous cas, ce vendredi du mois de juin de l'année 2000-et quelque, moi je sirotais un Gin Fizz au fond d'un canapé, en portant un regard désabusé mais néanmoins perçant – comme souvent – sur l'aréopage de l'auto-proclamée "Jet-Sex angevilline". Et lorsque Dan s'était levé de sa chaise pour venir imprimer la marque de ses phalanges sur le nez de Jocelyn, j'ai levé un sourcil et retiré la paille de ma bouche tandis que Busard crachait son whisky-Coke par le nez et que son frangin levait les bras au ciel dans un geste stoppé en plein élan, la bouche ouverte sur un cri silencieux, les yeux exorbités par l'horreur de la surprise ; un peu comme quand un joueur de foot manquait l'immanquable but foireux. Oui, Kévin avait toujours été très expressif dans les moments d'actions. Surtout quand il était ché-per.
Cette scène, on l'a tous plus ou moins déjà vécue. C'est celle qui se déroule pendant une fête où tout se passe bien, où les gens picolent, rigolent, fument dans la cuisine ou sur la terrasse, jouent sur un coin de banquette à la Playstation tandis que d'autres discutent dans le couloir ou désespèrent de retrouver le briquet qu'on leur a piqué vingt minutes plus tôt pour ouvrir une bouteille de bière. Le genre de fête où on cherche souvent des yeux la fille mignonne alors qu'elle est soit au fond du jardin en train de pigner dans les bras de sa besta, soit enfermée dans la chambre des parents en train de rouler des pelles au BG de service.
C'était exactement le genre de scène qui se passait au moment précis où quelqu'un ou quelque chose venait casser l'ambiance d'un seul coup. Et pour une fois, ça n'était ni les flics alertés par les voisins, ni Busard qui vomissait soudainement sur le tapis, ni même Mélanie qui se mettait à hurler pour une raison random.
Cette fois-là, c'était complètement autre chose, mais le résultat fut le même : tout le monde s'arrêta de parler, de boire, de fumer, de jouer à la Playstation ou de chouiner au fond du jardin. Et tous les regards convergèrent vers Joss, étalé par terre en train de gueuler comme un putois et ne réussissant pas à se relever, tout emmêlé qu'il était dans les chaises, les bouteilles, la nappe et le cendrier renversés.
Bref, c'était un de ces moments gênants durant lesquels on ne comprenait pas pourquoi la musique devenait plus forte à mesure que les autres bruits ambiants s'éteignaient et les regards convergeaient vers une perturbation quasi-existentielle.
D'habitude, les conversations reprenaient, on réactivait les parties de Fifa en pause et on allumait une nouvelle clope ou débouchait une autre bière sans trop se poser de question.
Mais pas cette fois.
À ce moment précis, dès que Sandrine s'était ruée vers Joss pour l'aider à se relever et que Hugues tirait Dan par la manche pour l'emmener discuter dehors, moi j'étais persuadé d'une seule chose : ça devait arriver.
En écoutant discrètement les bribes de conversations atterrées que venait de faire naître l'incident, une phrase lue sur une page Facebook, me revenait en tête :
"Quand on cesse d'être amis, ça veut dire qu'on ne l'a jamais été."
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Drama Kingdom
Fiksi UmumTout va bien à Angevilliers, petite ville de province où vit une bande de jeunes gens cool assoiffés de drama et de crises existentielles sordides. Tout du moins jusqu'au jour où deux potes décident de sortir avec un couple de BFF aussi jalouses que...