Où ça a commencé ?

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Je suis arrivé dans le groupe un peu par hasard. 

À la base je connaissais vaguement Hugues. On s'était rencontrés sur le forum d'un jeu vidéo tout pourri qu'on avait vite abandonné par la suite. Mais on était restés en contact via messagerie et réseaux sociaux et je l'avais suivi de communautés en communautés jusqu'à ce qu'on finisse par se voir IRL, puisqu'on habitait dans la même ville.

Il m'avait trouvé assez intéressant et sympa pour m'inviter dans son cercle d'amis et très vite, c'était devenu une habitude pour moi de rejoindre la bande au pub le vendredi soir.

Au bout de quelques semaines, je faisais partie du paysage et je m'étais plutôt bien intégré à cette bande de potes.

Il n'y avait pas vraiment de noyau dur à ce cercle de jeunes gens. D'un weekend à l'autre, la configuration variait un peu : certains venaient souvent, d'autres un peu moins, certains étaient encore mineurs et étaient des enfants de divorcés ou de couples recomposés, d'autres travaillaient plus ou moins ou étaient encore en étude, ils partaient en vacances scolaires ou universitaires ou avaient des impératifs online.

Ce qui nous liait à la base... je ne sais même plus. Je crois que certains d'entre eux faisaient partie de la même ligue ou guilde ou équipe de jeux vidéos. D'ailleurs ils en parlaient souvent et j'entravais que dalle à leur jargon. Dans ces moments-là, où toutes les conversations étaient accaparées par leurs faits d'armes ou leurs expertises de skills, je me faisais clairement chier. Du coup, j'observais leurs mimiques et leurs tics.

Cendrine, par exemple était incapable de regarder quelqu'un dans les yeux. Comme elle était petite, lorsqu'elle devait s'adresser à quelqu'un de plus grand qu'elle, ses paupières papillonnaient frénétiquement pour ne pas montrer son regard. 

Tim, le plus jeune des demi-frères Tal-Tal, lui, passait son temps à mordiller les lacets qui dépassaient du col de ses sweats à capuche. De temps en temps, quand il ne supportait plus les regards émerveillés que les filles lançaient à son frère Matt, il se mettait involontairement à taper du pied.

Gautier, quant à lui, était un connard de la pire espèce en toutes circonstances. Pas un connard aussi évident que Busard. Non. Busard, on se rendait compte tout de suite qu'il était juste débile. Gautier, c'était moins flagrant. En fait, on pouvait dire de lui que c'était un sournois.

Amanda avait tendance à faire dépasser les ficelles de ses strings quand elle se tenait assise, les fesses en arrière, tandis que Amandine, sa jumelle, tripotait régulièrement les bretelles de ses soutifs quand elle voulait attirer l'attention sur elle.

Dan et Joss parlaient fort et avaient tout le temps raison sur tout. Mais rarement en même temps.

Buzz adorait par dessus tout la drogue et Busard, son petit frère avait un sérieux problème d'alcool pour un type aussi jeune (ce qui expliquait sans doute pourquoi il était aussi débile).

Mélanie criait pour un rien.

Sandrine était une conne.

Fanny faisait des trucs mignons.

Matt, le demi-frère le plus âgé des Tal-Tal, était un BG de catégorie internationale.

Quant aux autres, est-ce bien la peine d'en parler ? Depuis cette époque, j'ai oublié la plupart d'entre eux. Il faut dire que j'avais profité du clash mythique entre Dan et Joss pour fuir ce panier de crabes. Je n'étais que très peu hypé par leur amour du drama et au bout de deux ans passés à leurs côtés tous les weekends, j'en avais un peu raz le cul de leurs gamineries.

Mais pendant longtemps j'avais trouvé ça cool d'avoir une vraie bande de potes avec qui sortir. Surtout qu'à ce moment de ma vie, je n'avais jamais eu l'occasion de fréquenter des gens populaires.

Car oui, populaires, ils l'étaient tous. Ils claquaient la bise à tous les barmen et barmaids des pubs et des boîtes de nuit qu'on fréquentait. Ils se faisaient payer des coups à droite à gauche, ils étaient souvent sollicités pour aller à l'anniversaire de tel ou tel second couteau qui gravitait autour de la bande. À eux tous, ils connaissaient assez de personnes cool et bien en vue en ville pour être eux-mêmes considérés comme une sorte de référence. Et j'en ai grave profité !

Pour être tout à fait honnête, je trouvais ça grisant. Et puisque quelques uns d'entre eux étaient plutôt friqués, les bouteilles coulaient à flot et on se faisait offrir l'entrée et la table dans les discothèques. De toute manière, vu le nombre d'euros que Matt, Gautier et Mélanie pouvaient lâcher chaque soirée, notre petit groupe d'amis était plutôt visible dans le centre ville de notre patelin.

Quand Buzz s'est mis à faire des petits boulots pour ses oncles et tantes sur le marché – ils avaient toujours des plans incroyables pour refourguer des fringues de luxe à prix coûtant – ça n'a fait qu'empirer : on était alors tous sapés comme pas permis ! À tel point qu'on s'est mis à être invités de temps en temps dans des endroits sélects, genre, à l'étage de la Casa Cubana, le bar à rhum à la mode. Les jeunes avocats, les jeunes commerciaux de chez Fene'strass, ceux du Crédit Industriel Angevillin et même les jeunes sous-officiers de l'école militaire du coin adoraient reluquer les minettes avec qui on traînait. Il faut dire qu'avec des meufs comme les jumelles, Fanny et Mélanie dans nos rangs on ne passait pas inaperçus. En plus elles avaient appris à minauder et à toujours laisser planer le doute quant à leur statut amoureux officiel.

Bref, on était devenus les roussettes dans le bassin aux requins de l'aquarium qu'était Angevilliers, petite sous-préfecture anodine et misérable, perdue quelque part dans un désert culturel et administratif qui s'étendait de Sordide-sur-Yvettes jusqu'à Nulachiêt-en-Terres.

Et on adorait ça.

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