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Étonnamment, ni moi ni Rachel n'avions réellement planifié de provoquer le destin, en allant chercher l'autre. Je le sais, parce qu'elle me l'a dit.

Ce matin là, j'avais prévu de m'installer au bord du lac. J'avais tout pour être à l'aise, et j'ai honnêtement passé une bonne matinée, en solitaire.

J'ai réfléchis à ma situation avec Rachel, et j'ai conclu que je ressentais un truc pour elle. Ce genre de truc qui vous fait penser à la personne en question presque tout le temps, et avec qui on imagine un futur proche ou lointain. Mais moi, je n'avais pas envie d'invisager un quelconque futur avec Rachel ; sa philosophie de s'en remettre au destin tout le temps me trottait dans la tête, et je finissai par m'en remettre moi aussi à cette sorte de volonté divine.

J'ai aussi réfléchis à ce que j'allais bien pouvoir faire cette après-midi, ou ce soir, tandis que mes pieds trempaient dans l'eau. J'avais entendu parler d'un festival de musique. Avec quelques artistes que j'appréciais. Sûrement allais-je y faire un tour.

Alors que le soleil montait à son zénith, je me levai, remballai mes affaires, et sorti de la quiétude de cet endroit. Et je tombai nez à nez avec Rachel. Littéralement. C'est à dire que j'ai tourné vers la droite, et que mon nez s'est confronté au sien.
" Pas trop mal, Charlie ?
- Je vais survivre, je te remercie. Et toi ?
- Mon nez se porte plutôt bien. Tu étais au lac ? C'est dommage, j'allais y aller.
- Pour tout t'avouer, je comptais rentrer manger chez moi, et terminer mon après-midi avec une activité inintéressante.
- Alors mangeons ensemble ! J'ai pris de l'argent, comme d'habitude. Et si tu allais nous chercher à manger ?"
Sans problème, j'aquiescai, et après quelques négociations, le plat du jour était convenu.

De retour avec nos provisions, je retrouvai Rachel en train, comme hier, de se dandiner dans l'eau, à un rythme entraînant.
"Tu veux manger maintenant ?
- Avec plaisir ! J'arrive."
Cette fois entièrement en maillot de bain, elle sortit du lac et s'assit lourdement, sans plus de cérémonie sur sa serviette. Elle me sourit et commença à manger. Habituellement à tous nos repas partagés, Rachel faisait la conversation, et je parlais de temps en temps. Mine de rien, nous avions appris à nous connaître, nous en avions appris plus sur l'autre au fil du temps. On ne pouvait rien y faire, ces détails resteront gravés dans notre mémoire à tout jamais.

Tandis que j'entamais mon dessert, Rachel avait déjà fini, je ne sais comment, et souhaitait m'emmener dans l'eau.
" Je suis sûre que tu as ton maillot de bain. Allez viens !
- Laisse moi finir mon dessert et on verra bien, après."
Elle soupira d'un air dramatique, mais s'allongea finalement à mes côtés, clôt ses yeux sous ses lunettes de soleil, et patienta.

Je dégustais lentement ma glace, afin de prendre le temps de la détailler. Elle rassemblait de nombreux clichés : blonde, aux yeux bleus, avec de longues et fines jambes, un beau visage... Sa peau pâle étincellait, et avait ce charme qu'on ne retrouve que dans l'ancien temps, lorsque les femmes se privaient de sortie au soleil, de peur d'attraper des tâches des rousseurs. Elle devait émerveiller beaucoup de gens, et en ennuyer d'autres ; elle ne sortait pas tant que ça de l'ordinaire, c'était juste moi qui la trouvais merveilleuse.

Rachel ouvrit un oeil, puis l'autre, et vit que ma glace était déjà finie depuis longtemps.
" Tu m'observais, Charles ?
- Je m'appelle Charlie, et non, je ne t'observais pas.
- Si tu le dis. Maintenant vient dans l'eau avec moi. Elle est particulièrement agréable au soleil."

Quelques minutes et une musique de lancée plus tard, nous étions dans l'eau, presque aux hanches, en train de profiter de la vitamine D qui s'imprimait dans nos pores.

Nos corps ont bougés en rythme, nos cordes vocales se sont mises à chanter, nos bouches ont bu la tasse, nos lèvres ont rigolées, et nos langues se sont caressées.
Mais vint ce moment où la fatigue nous ratrappa, et où nous avons décidé de rentrer. Elle chez elle, et moi chez moi. Or, j'ai poussé le destin ; je n'avais pas envie de partir comme ça, de ne plus la revoir de la journée, alors j'ai demandé :
" Il y a un festival de musique, ce soir. On y va ensemble ?
- D'accord. Mais je vais rentrer chez moi dormir un peu. Et me changer. Et si on se retrouvait avant le début, devant l'entrée ?
- Avec plaisir. J'y serais."
Je lui griffonnai les informations nécessaires au festival de musique sur un emballage de ce midi, et l'embrassai sur la joue afin de lui dire au revoir.

De retour chez moi, et avec un rapide calcul, je compris qu'il me restait une bonne poignée d'heures avant de retrouver Rachel. Alors j'en profitai pour, moi aussi, dormir, un des meilleurs moyen de faire passer le temps.

J'arrivai finalement avec quelques minutes de retard face à Rachel, mais cela n'avait pas l'air de l'embêter plus que ça. Elle portait une jolie petite robe d'été, et ses cheveux étaient une fois de plus détachés. Elle m'embrassa sur la joue lorsque j'arrivai à sa rencontre, me prit la main, me complimenta sur ma tenue, et demanda :
"Quel chanteur passe en premier ?
- Je ne me souviens pas. Quelqu'un de sympa et de peu connu je crois."
J'avais finalement raison : l'artiste en question produisait des musiques que moi et Rachel aimions, notamment une sur laquelle nous avions dansé, au lac. Ma blondinette chantait à tue-tête :
"It was an ordinary night in June, when he drove her to the lake, so they could watch the full moon..."

Elle me prit par la main, et, comme tous les autres autour de nous, je me mis à danser. Rachel à mes côtés, des lampions accrochés au ciel, la fraîcheur du début de soirée, la musique entraînante, des voix magnifiques, d'autres moins, mais toujours cette sensation de bonheur ultime, de but atteint, et de non-dit révélés.

Les musiques ainsi que les artistes s'enchaînaient, et Rachel avait l'air de tout connaître.
"Had me feeling like you were the one, and it's never gonna feel like it's done, 'cause it's never gonna change."

C'est fou comme certaines paroles sont interprétées à certains moments de notre vie, par notre cerveau, alors qu'on n'a rien demandé.
"Je crois que tu réfléchis trop, Charlie. Je ne sais pas à quoi tu penses, mais profites juste de la soirée, d'accord ?"
Rachel conclua ses paroles en m'embrassant. Alors j'ai profité de la soirée, sans me poser plus de questions.

Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure, et alors que Rachel chantonnait "I got your pictures everywhere I go, telling all the boys I'm yours, and I wish..." je l'interrompis :
"Demain, on se revoit ?
- Je ne sais pas Charlie. Tu me demandes ça à chaque fois, et à chaque fois la réponse est la même. D'après toi, est-ce qu'on va se revoir ?
- Je pense que oui.
- Alors c'est qu'on se reverra."
Elle clot le débat en m'embrassant, doucement, comme pour faire durer le moment, et me murmura à l'oreille :
"On se reverra demain, fais confiance au destin, Charles. Peut-être même qu'on s'embrassera aussi."
Et alors même que j'allais lui dire que m'appellais Charlie, elle tourna les talons, puis se retourna quelques mètres plus loin, pour me sourire.

Encore une fois, elle eut raison ; comme toutes les autres fois, nos chemins se sont croisés, et nos langues se sont épousées.

Musiques :
La première : "The Gosht Who Walks", de Karen Elson, présente dans le média du chapitre précédent.
La deuxième : "Never Gonna Change", de Broods (en média).
La troisième : "Killing You", de Broods.

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