Chapitre 3

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Assise à son bureau, elle attend. La journée s'annonce belle par le ciel bleu où aucun nuage est en vu. Elle sait qu'avec ce temps les gens ont tendance à sortir dehors et la boutique est plus fréquentée, moins d'ennui en perspective. Elle regarde de loin les individus qui s'intéressent à la musique qu'elle vend. La porte s'ouvre, son regard est déporté par ce qui bouge. C'est Sandy. Leurs regards se croisent et elles se sourient. Zelda la trouve différente, ce n'est pas la même femme qui rentre aujourd'hui dans sa boutique par rapport à d'habitude. Elle vient vers elle. Habituellement, elle s'assoit sur la chaise proche de la porte. Aujourd'hui, la chaise va être vide, du moins le temps d'un instant, le temps qu'elle vienne lui parler. Les deux femmes se sourient puis Zelda baisse les yeux, n'osant pas soutenir le regard de Sandy plus longtemps. Sandy pose deux cafés sur le bureau, elle tend l'un des deux gobelets vers Zelda.

-Je ne sais pas quel goût tu aimes, j'espère que tu aimes le café noir.
-Oui, merci.
Non, elle n'aime pas ça, mais elle trouve que l'intention est déjà bonne alors elle ne va pas s'en plaindre. Sandy lui sourit, elle ne l'avait pas vu faire ça la veille. Elle n'avait jamais vu son sourire quand elle y repense. La brune boit son café. Zelda, elle a plus de mal, elle essaie de ne pas montrer son dégoût quand elle boit une gorgée du café. Vu le regard de Sandy sur elle, elle comprend qu'elle s'est fait avoir, qu'elle est au courant qu'elle n'aime pas le café noir. Pour attirer l'attention de Sandy sur autre chose qu'elle, elle prend la parole.

-Je pars vendredi à Paris.

Sandy semble perdue. Elle comprend soudain l'accent français bien prononcé de Zelda, elle sourit.

-Tu es française ?

-Je pense que ça s'entend, dit Zelda en riant, se moquant d'elle-même.

-Tu pars pour combien de temps ?

-Une semaine.

Zelda boit une nouvelle gorgée de son café noir. Ce dernier lui irrite la gorge, mais elle ne le montre pas. Encore un silence. Zelda est timide, n'ose pas parler, ne sait pas sur quel sujet commencer la discussion. De plus, le regard de Sandy sur elle, elle ne l'aime pas.

-Hum... Tu pourrais... Peut-être passer un soir... À l'appartement, demande Zelda en bafouillant.
-Pourquoi pas, avant que tu partes.
-Tu pourrais venir avec ton mari et tes enfants, enfin...
-Je verrai.

Sandy lui coupe la parole tout en posant sa main sur celle de la blonde. Cette dernière sent comme une chaleur en elle, elle préfère que leurs mains se séparent. Elle a remarqué que le sourire de Sandy s'est estompé depuis qu'elle lui avait proposé de venir avec sa famille. Sandy regarde sa main, sa bague, elle n'a jamais réussi à l'enlever, c'est comme si elle n'avait pas envie qu'il la quitte.

-Je dois y aller Zelda.

Elle prend un papier sur le bureau de la blonde, avec un stylo qu'elle trouve au même endroit, elle note son numéro de téléphone.

-Envoie moi un message si l'offre tient toujours dans les prochaines heures, s'il te plait.

Une nouvelle fois, elle pose sa main sur celle de Zelda. Tout surprend Zelda, la main, la phrase puis son départ. Car oui, Sandy a déjà passé la porte, la blonde n'avait pas eu le temps de lui répondre. Elle se sent mal, elle a l'impression que c'est de sa faute si elle est déjà partie. Un client vient vers elle, sur le coup, elle lui est reconnaissante d'être venu la déranger dans ses pensées.

Sandy marche dans la ville, les yeux mouillés, elle regarde le sol. Elle heurte quelqu'un, elle relève la tête vers cette personne. Un homme, brun, grand, musclé, on voit la structure de son corps à travers son tee-shirt près du corps. La voix cassée, elle s'excuse. Il lui sourit et lui dit de faire attention maintenant. Même au niveau de sa voix, il lui ressemble. Elle a envie de fondre en larmes, de plonger sa tête contre son torse, mais elle se retient. Ce n'est pas lui, c'est juste un inconnu, un homme qu'elle ne verra sans doute plus jamais. Elle s'en va. Ses mains sur ses épaules, il a suivi son mouvement. Elle ne pouvait plus lui faire face, il lui ressemble trop, c'était comme s'il était de retour. Décidément, tout le monde lui rappelle ce qu'elle a perdu. Elle se retient de pleurer. Elle respire fort pour porter son attention sur autre chose que son chagrin. En marchant, elle fouille dans son sac à main pour trouver ses lunettes de soleil. Le temps ne se prête pas à ce qu'elle les porte pourtant. Elle regarde vite fait l'état de ses verres, elle voit à travers même s'ils sont sales, mais c'est ça le principal. Elle ne veut juste pas que l'on voie son regard, les larmes aux bords des yeux. Après quelques minutes à se diriger machinalement à travers les rues, elle finit par arriver devant une grande porte. Elle regarde le panneau qui donne des indications sur ce qui se passent derrière cette porte. Elle touche l'affiche, pas la première, pas celle qui est collé au dessus des autres, elle touche celle dont on voit encore le haut. Elle sourit faiblement, ça a fait partie de sa vie. Elle attrape furtivement la poignet de la porte, elle le fait avec courage même si elle espère inconsciemment que ce ne soit pas ouvert, qu'elle devra faire demi-tour et qu'elle rentrera chez elle. Elle l'actionne, la porte grince en s'ouvrant, toujours le même grincement qu'à son époque et elle entre. Un long couloir qui mène à une grande salle avec du parquet. Combien de fois avait-elle fait la longueur de ce couloir ? Cela n'a que très peu changé. Des chaises ont été rajoutées. Elle était obnubilée par le haut de l'affiche qu'elle n'a pas pris le temps de regarder celle collée au-dessus. Au milieu de la salle, elle se met à tourner sur elle-même, elle commence à faire des pas de danse, des danses de salons. C'est comme si elle était accompagnée, mais elle est seule. C'est joli à voir, elle danse bien, très bien même. La danse, c'était toute sa vie.

Danser dans le noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant