10 - Matrick le Un

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– Le Dragonium a été prévenu de votre visite, Votre Sérénissime Majesté. Votre garde vous attendra aux portes de la Dragonnerie.

 Le Maître avait proféré ces mots avec plus de déférence qu'il n'était de coutume. Matrick le Un grimaça, il détestait le ton suffisant sur lequel on s'adressait à lui. Ces Héros étaient bien tous les mêmes : arrogants et ingrats, mais ils mourraient à la guerre bien avant qu'il n'ait poussé son dernier soupir. De ce fait, il pouvait bien se montrer un tantinet patient...

 A son arrivée sur les lieux, il avait même surpris l'un d'eux le nommer Matrick premier. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait entendu pareil affront. Matrick premier...

 Le Souverain rit jaune. Lors de son accession au trône de Maestria, il avait expressement demandé à changer de nom. S'appeler Alvin, Edgar ou Rodrig ? Il n'en était pas question. Il était unique, et à ce titre, il méritait un nom hors du commun, parce qu'il était différent, parce qu'il refusait de se voir mis dans le même panier que ses prédécesseurs, et parce que s'il souhaitait entrer dans l'histoire, il se devait de se démarquer.

 De visite à Anyor, il commençait à trouver le temps long. Ainsi la cité possédait une Dragonnerie plus grande que son palais ; voila un problème auquel il lui faudrait remédier... Il méprisait le crétin qui avait ordonné la création des Dragonneries. A cause de lui, il se retrouvait là, à se coltiner cette visite de contrôle. Ce bon vieux Alvin était un homme stupide, dépourvu de classe et d'élégance. Et dire qu'on le surnommait « le Bon »... Il excellait surtout dans l'art d'enquiquiner ses successeurs.

 Elever des dragons était l'idée la plus saugrenue à laquelle il devait concéder. Ou comment garder des créatures rustres et dépourvues de bon sens sous contrôle, des monstres qui auraient tôt fait de lui arracher le bras au moindre coup de folie. Si ça n'avait tenu qu'à lui, ces horribles créatures auraient disparu depuis belle lurette. Mais avec la guerre qui menaçait aux frontières des Huit, cet abruti de peuple se sentait rassuré. Comme si des paires de griffes et de crocs suffiraient à les défendre alors même que leurs ennemis n'avaient qu'à lever le doigt pour décimer la moitié de leurs armées.

 Matrick le Un bifurqua dans l'allée de droite. L'air était si chargé qu'il en devenait irrespirable. Affublé de sa longue robe de velours pourpre, au bord de l'évanouissement, le visage pâle, il faisait piètre figure. Sur son front perlaient des gouttes de sueur, collant ses cheveux à sa peau brillante et salée : il avait l'air d'un homme négligé et detestait l'image qu'il renvoyait.

 Quarante ans ! Quarante ans qu'il n'avait pas sué comme un porc. Depuis la fois où son père l'avait obligé à se battre contre un garde du palais. Sa cuisante défaite ne l'avait guère encouragé à renouveler l'expérience. Suer. La sensation était extrêmement désagréable. Horripilante. Et une fois de plus, il la devait à ces maudits dragons !

 Il sortit un mouchoir et s'épongea le front sous le regard fuyant de ses conseillers. Avec ce qui leur restait de cheveux – quelques touffes éparses et frisottantes sur leur crâne désertique –, il se demandait comment ils parvenaient encore, à leur âge, à avoir les idées claires. Certains paraissaient si flétris qu'ils semblaient même embrasser le sol au moindre courant d'air. Ostrad, tout particulièrement.

 Matrick jeta un regard en coin au petit homme malingre qui récitait mécaniquement son discours sur l'histoire des Dragonneries ces deux mille et quelques dernières années. Il lui sembla qu'au fil des ans, tout, chez lui, s'était tassé. Sa caboche, qui disparaissait entre ses clavicules, ses yeux de taupes enfouis derrière des monticules de rides, son dos rabougris... Un homme ennuyeux !

 Il détacha son regard de sa silhouette et observa, agacé, les lieux. Ladite Dragonnerie ressemblait à s'y méprendre à une gigantesque caverne dont la voute, ouverte sur le ciel, permettait aux créatures de s'envoler quand bon semblait. Matrick avait du mal à apprécier l'ingéniosité de l'édifice. L'architecte devait avoir eu un sérieux problème pour ne pas avoir intégré à son œuvre un système d'aération, car l'odeur lui était tout bonnement insupportable !

Dragons - Le souffle des âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant