Chroniques des Chasseurs d'ombres - Tome 1 : Feu & Glace

Chapitre 3

Après presque trois heures de vol passées les mains crispées aux accoudoirs et l'estomac serré, Jared sentit le Boeing trembler en atterrissant finalement sur le tarmac enneigé de l'aéroport de Denver.

Jared détacha sa ceinture et déplia son mètre quatre-vingt-dix pour attraper son sac rangé dans le compartiment à bagages au-dessus de sa tête. Il avait hâte de retrouver la dureté du sol sous ses pieds. Il détestait les avions.

Confortablement installé dans un des larges sièges de la première classe, il avait pourtant essayé de se détendre, en vain. Ni le liquide ambré du whisky bon marché, bu en quantité non négligeable, lui brûlant la gorge, ni sa brève lecture des journaux proposés à bord n'étaient parvenus à lui faire oublier qu'il était à des milliers de kilomètres au-dessus de la terre ferme et qu'en cas de problème, il n'y avait aucun espoir de survie. Il avait bien essayé de fermer l'œil dans une tentative pour s'assoupir, mais son stress permanent l'avait empêché de se détendre. Il avait refusé de prendre des médicaments, il n'aimait vraiment pas ingurgiter quoi que ce soit dont il ne pouvait contrôler les effets. Sauf exception. De nombreuses exceptions.

Ouais, il détestait les avions.

Lorsqu'il quitta l'appareil et posa le pied sur la passerelle menant au terminal, il poussa un immense soupir de soulagement. Enfin ! Il pouvait dès à présent retrouver toute sa sérénité.

Les premiers passagers avaient déjà commencé à avancer le long du couloir tapissé d'affiches publicitaires, mais il eut rapidement fait de les dépasser, ses longues enjambées lui permettant de délier ses muscles restés trop longtemps endormis.

Les portes vitrées s'ouvrirent pour laisser passer le flot de voyageurs, impatients de retrouver leur famille et leurs amis, à l'extérieur de la zone d'arrivée. Jared chercha des yeux la pancarte où son nom devait être inscrit. Il la trouva en quelques secondes, tenue entre les doigts épais d'un homme en costume sombre et aux traits ciselés. Parvenu à la hauteur du type, Jared lui offrit un petit signe, l'informant qu'il l'avait remarqué.

— Bienvenue à Denver, agent Byrnes, déclara le blond en lui tendant la main, un sourire franc ourlant ses lèvres fines. Je suis Mase Crompton.

— Enchanté, répliqua Jared d'un ton égal.

Mase l'invita à le suivre dans le parking sous-terrain où la luxueuse berline noire était garée. Jared rangea son sac dans le coffre et vint s'installer sur le siège passager.

Le trajet se déroula sans heurt. Mase s'était chargé d'entretenir la conversation, pendant que Jared se contentait de hocher la tête ou répondre par monosyllabes, tout en gardant le regard rivé sur le paysage urbain qui s'étendait devant lui. Il n'avait jamais été quelqu'un de loquace, encore moins avec des inconnus. Aussi, une fois que Mase eut fini son monologue, il put profiter du silence qui envahit l'habitacle et qui ne fut brisé à aucun moment.

Jared descendit de voiture et posa le pied sur le sol recouvert de neige boueuse devenue flaque d'eau noirâtre. Au moins, je ne serai pas dépaysé, pensa-t-il en avisant le large trottoir humide et les arbres parsemés d'une fine pellicule d'un blanc immaculé. S'il se concentrait assez fort sur ce morceau de bitume, il pouvait s'imaginer être toujours à Chicago. Mais il avait quitté cette ville qu'il aimait tant, et de son plein gré qui plus est. Il ne lui restait plus qu'à faire avec.

En découvrant le vieux bâtiment qui s'élevait devant lui, les lettres blanches indiquant « FBI – Citizen Protection – Denver Dpt. », surmontant le logo si familier, il se demanda un instant sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas préféré une affectation dans un état où le temps était clément toute l'année. La Floride, ou la Louisiane, par exemple. Il se serait pourtant bien vu à La Nouvelle-Orléans, arpenter les rues du Vieux Carré, aller boire un coup dans Bourbon Street et passer des nuits de débauche dans les bras de jeunes amants, fougueux et affamés. Mais il savait pourquoi. S'il avait été amené à bosser là bas, il aurait été certain de se perdre, de rompre ce dernier filin si fragile qui lui permettait de ne pas tout abandonner. De ne pas sombrer, inéluctablement.