Don't Forget Me | Nash Grier | TOME II

Épilogue

PDV : Hamilton Nash Grier
Date : 1 novembre 2084
Lieu : Hospital Clínic, Barcelone, Espagne

Je descends de mon taxi, le remercie et le paie sans vraiment faire attention à ce que je donne, l'esprit ailleurs. Je marche d'un pas pressé vers les portes automatiques de l'hôpital, traverse le sas d'entrée puis me retrouve dans le hall. Je ne m'arrête pas à l'accueil, ne demande pas mon chemin, ni ne m'attarde pour observer ce lieu, car je le connais si bien maintenant, que c'est comme une seconde maison. C'est d'ailleurs devenu son domicile depuis presque un an, depuis que son cancer a récidivé et qu'elle est contrainte à rester ici.

Je continue mon chemin, emprunte l'ascenseur jusqu'au troisième étage, et me dirige vers la chambre 317. En poussant la porte, je la trouve assoupie, un livre toujours posé sur son ventre se soulevant au rythme de ses respirations longues, difficiles et douloureuses. Je m'assois à ses côtés, sur ce fauteuil sur lequel j'ai dormi tant de fois, les nuits où elle ne trouvait pas le sommeil. Je cale un coussin dans mon dos qui me fait souffrir, puis retire doucement le livre de son ventre. Je prends mes lunettes, rangées dans ma poche de manteau, les pose sur mon nez et lit le titre : "Le Tour Du Monde En 80 Jours" de Jules Verne. Je souris, elle a toujours aimé la littérature française, notamment cet auteur. Je lève le nez vers la pendule, qui indique 9h30. Il est temps de la réveiller. Je pose une main sur sa joue et chuchote :

"Tu devrais penser à ouvrir les yeux ma chérie.
- Me laisseras-tu un jour dormir jusqu'à ce que le soleil soit à son zenith, comme quand nous étions jeunes ? dit-elle presque inaudiblement.
- Pas tant que je pourrais te réveiller, la vie est bien plus belle que les rêves lorsqu'on l'aborde de la bonne façon, je le réponds avec un sourire."

Elle esquisse un rire en retour, mais commence rapidement à tousser. Je lui dis de se calmer, que tout va bien, et lui sert un verre d'eau. Elle me regarde avec les yeux fatigués et tristes qu'elle ne quitte plus depuis des années. L'étincelle qui illuminait autrefois son regard n'a pas disparu, mais elle se cache, se cherche, ne se montre que rarement. Chaque jour je tente que la voir apparaître, chaque jour j'essaie de rendre mon épouse un peu heureuse, mais chaque jour la tâche devient plus dure, et je vis chaque jour avec elle comme si c'était le dernier que le Ciel m'offrait, comme si la nuit me la prendrait et que le lendemain elle serait partie. Je la regarde, et remarque que sa respiration, déjà difficile depuis des mois, ne ressemble désormais plus qu'à un râle presque animal. Sa peau, qui n'avait cessé de pâlir, se ternit, et devient presque grise. J'observe enfin son crâne, autrefois dégarni par la chimiothérapie, il est aujourd'hui recouvert de cheveux blancs mi-longs, qui semblent en aussi fragile et mauvaise santé que leur hôte. Ils ont repoussé depuis l'arrêt de son traitement, et chaque centimètre qu'ils prennent est un instant en moins avant qu'elle ne parte.

"Mets de la musique s'il te plaît, me demande-t-elle.
- Bien sûr."

Je sors mon vieil iPhone 8 de ma poche et essaie tant bien que mal de mettre de la musique, alors que mes mains tremblantes me rendent la tâche difficile. Je lance une compilation de ses chansons préférées de Niya. Elle ne s'est jamais vraiment remise de la mort de sa cousine alors qu'elle n'avait que 37 ans, et depuis, pour elle, aucune aucune musique n'existe que la voix de celle qui fut plus qu'une sœur à ses yeux.

Je lève la tête vers mon épouse et l'observe hocher la tête au rythme de la musique, en même temps que ses mains qui battent la pulsation sur le matelas. Je ne saurais dire combien de temps nous passons à écouter ces mélodies du familières, si réconfortantes qu'on en oublierait presque la dure réalité de la vie. Mes pensées sont interrompues par une quinte de toux particulièrement forte, et c'est seulement lorsque je la prend dans mes bras qu'elle cesse. Je lui apporte un verre pour qu'elle se calme, puis un deuxième, et seul le troisième arrive à venir à bout de sa soif.