Le Rythmophile

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Quand j'étais enfant, j'ai vécu une expérience très étrange. Je vivais dans une maison à la campagne. Il me prenait parfois l'envie de regarder les champs aux alentours par ma fenêtre pour passer le temps, et un jour - vers mes 9 ans - j'ai vu quelque chose d'inhabituel : un homme habillé tout en rouge se tenait à la limite d'un champ pas loin de chez moi, assez près pour que je puisse très bien le voir. Je me souviens qu'un masque grimaçant rouge cachait son visage.

Je l'avais d'abord pris pour un paysan étranger déguisé avec un costume de sa localité, comme certains mendiants roumains quand viennent les fêtes de Noël. Il était assis en tailleur et semblait regarder dans le vide. Je me suis un peu penché pour mieux le voir et je l'ai vu se pencher dans la même direction que moi. Je me demandais s'il m'imitait, quand il s'est levé et s'est mis à se pencher rapidement de droite à gauche, comme un pendule, sans bouger le bas de son corps.

La peur a pris le dessus vis-à-vis de cette scène surréaliste, et je suis parti rapidement de ma fenêtre. J'ai couru jusque dans la chambre de mes parents et les ai réveillés. Je les ai conduits à la fenêtre, mais l'homme n'était plus là.

Le lendemain, je suis retourné voir si l'homme étrange était revenu, et en effet il était debout, à tordre le haut de son corps de droite à gauche. C'est à ce moment-là que je me suis mis à ressentir une fascination pour lui et à ne plus le considérer comme un voisin, mais comme ce qu'il était : un être rouge dansant.

J'ai commencé à sauter sur place pour danser avec lui, et il s'est mis à sautiller également en étant synchronisé avec moi. Encore une fois, je suis parti avec des sueurs froides. J'ai à nouveau prévenu mes parents, et il avait encore disparu. Je pense qu'à ce moment-là mes parents ont commencé à prendre ça pour un jeu.

Le troisième jour, je suis passé le voir et il était là, en tailleur, le regard dans le vide. À peine je l'ai regardé, que pour la première fois son regard s'est posé sur moi. J'ai ressenti une peur profonde et une attirance inexpliquée pour cet être. Il s'est levé et s'est mis à faire le pendule. J'ai essayé de l'imiter en tordant également mon corps sur la droite quand lui le faisait, puis à gauche, puis à droite... Et puis, il s'est arrêté : étant plus rapide que moi, il attendait que je me resynchronise avec lui. On était repartis, et encore une fois il s'est arrêté dans son mouvement. 

Finalement, j'ai abandonné et je me suis mis à sauter sur place. Il a fait de même et a profité du mouvement pour s'approcher de chez moi. Je ne ressentais plus de peur, juste une grande fascination. Quand il est apparu à ma fenêtre - je dormais au rez-de-chaussée à l'époque - je me suis empressé d'aller lui ouvrir.

Il me fixait depuis que j'étais à la fenêtre, mais à l'instant où je l'ai ouverte, il s'est mis à regarder face à lui et a quitté ma chambre. C'est à ce moment-là que j'ai récupéré mes esprits, comme si son regard m'avait hypnotisé. Je l'ai suivi. Je ne ressentais plus de fascination, ou presque, juste assez pour regarder vers où il allait. La peur avait pris le relais. Il marchait en frottant en rythme ses sabots de bois sur le sol et il est entré dans la chambre de mon petit frère, âgé de quelques semaines. Il dormait dans son berceau, sa poitrine se soulevait doucement. L'être a commencé à calquer sa respiration sur celle de mon frère et a à nouveau tourné sa tête dans ma direction.

Avant même de croiser son regard, je me suis mis à courir aussi vite que je le pouvais, et je me suis plongé sous mes draps en hurlant. Je retenais mes larmes quand j'ai entendu le simulacre de la respiration de mon frère se rapprocher, jusqu'à être collé à mon oreille. Je pouvais sentir le souffle chaud de cette respiration filtrer à travers mes draps, pour finalement s'arrêter d'un coup. Le bruit du frottement des sabots contre le sol a commencé à s'éloigner, est sorti de ma chambre, et est allé vers la gauche. À gauche il n'y avait que notre cave.

C'est au même moment que mes parents ont surgi dans ma chambre. Je leur ai tout expliqué en détails, mais comme dans un mauvais film d'horreur, ils m'ont dit que j'avais dû faire un cauchemar. Le fait de leur avoir raconté ça en étant sous mes draps ne m'avait pas aidé.

Le soir, à l'heure d'aller me coucher, ma mère m'a embrassé et est partie rejoindre mon père dans le salon, malgré mes supplications d'appeler la police pour sécuriser la cave. À cet âge, j'avais tendance à surévaluer les gens en uniforme.

Je mettais beaucoup de temps à m'endormir à cette époque, on avait une fuite dans la cave, le rythme des gouttes me berçait, la cave étant étonnamment très peu isolée.

Je me suis réveillé à cause du bruit de sabots contre le sol de ma chambre. Je n'ai pas ouvert les yeux, j'étais terrorisé. J'ai même arrêté de respirer, mais je savais qu'il était là, à se tordre sur les côtés.
Par chance pour ma famille, à ce moment-là, mon frère ne faisait pas de bruit et le bruit de la télé n'avait pas l'air de l’intéresser. Il est redescendu vers la fuite, juste avant que je commence à manquer d'air. Cette fois c'est moi qui avais dû respirer trop fort. La peur qu'il revienne m'avait empêché d'appeler mes parents à l'aide.

Le lendemain était un lundi. Je m'en souviens parce que ce jour-là c'était ma tante qui me ramenait de l'école. En arrivant devant chez moi, on a été accueillis par des sirènes de pompiers et de police.

Ma mère avait découvert mon père mort dans la cave, juste avant notre arrivée. Il était en bleu de travail et avait les outils pour réparer la fuite. Elle a immédiatement appelé la police.

Elle ne me l'a pas dit à cette époque, mais quand ma mère m'a jugé assez mature, elle n'a pas cherché à me cacher plus longtemps comment il était mort, même si j'imagine que c'est l'incompréhension qui l'a poussée. Selon le rapport d'autopsie, il serait mort d'épuisement après avoir dansé des heures sans s'arrêter.

Le monstre n'a pas refait surface depuis les dix ans qui ont suivi la mort de mon père, mais je suis inquiet. Cela fait deux matins de suite que je vois mon petit frère sautiller devant sa fenêtre. L’existence de cet être couplé à mes remords de lui avoir ouvert m'ont poussé à vous écrire, mais c'est la possibilité qu'il rôde encore qui a achevé ma décision de vous prévenir.

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