- C'est moi, dit Charlotte.Elle se tourna vers sa voiture. Depuis la cabine téléphonique, elle avait l'air encore plus abîmée que de près. Le capot beige de son cabriolet était relevé, plus par fatalité que par nécessité pratique. Si Pamela, grande amie de la mécanique depuis son été passé à travailler avec son petit-ami chez un technicien automobile, saurait peut-être réparer ce qui clochait dans son véhicule, Charlotte s'en montrait bien incapable. Sur le chemin du retour, elle avait réussi à faire rouler sa monture quelques kilomètres malgré les quelques sons étranges qu'elle produisait avant qu'elle ne la lâche juste devant le panneau de l'entrée de la ville, dans un souffle qui s'apparenta à un esclaffement : elle était moquée par une bagnole ! Garée sur le bas-côté de la route, les voitures défilaient sans aucun signe de pitié pour elle. Charlotte se tourna vivement en direction d'une forme dissimulée derrière la portière et fit de gros yeux. Elle y trouva la raison de sa malchance : un chat d'un noir abyssal se frottait impudemment sur sa carrosserie comme si sa vie en dépendait, les yeux rivés vers la blonde dans un air de défi.
Elle ne le lâcha pas du regard.
- T'as pas ouvert la boutique ce matin, lui lança Pam à l'autre bout du fil. C'était ton tour pourtant, maman ne va pas être super feng-shui avec toi, si tu vois ce que je veux dire. Et puis, t'as raté le petit-déjeuner. Ça ne te ressemblait tellement pas, je te croyais morte dans un fossé .
Elle avait manqué bien plus que le petit-déjeuner. Il était treize heures la dernière fois qu'elle avait consulté sa montre, et la fraîcheur de la veille au soir paraissait encore irréelle. Tout ce qu'elle voulait, c'était profiter de l'été une dernière fois. Elle voulait voir la nuit étoilée encore et encore, bien qu'elle savait que c'était parfaitement impossible : le lendemain, elle devrait retourner en cours. Cette idée lui donna la furieuse envie d'hurler d'exaspération : elle ne comprenait pas l'école. Cependant, elle était certaine de ne jamais regretter ce qu'elle avait fait. Elle se souviendra toujours de sa nuit passée à observer le ciel depuis une colline déserte ; une couverture sur les épaules et la tête très loin ailleurs. Elle avait fini par s'endormir doucement, et mon Dieu, ce fut pour elle la plus douce des nuits.
- Au lieu de détruire mon moral, Pam, aide-moi plutôt à réparer la caisse. (elle continuait d'observer le félin, et remarqua de la cabine que son poil penchait plutôt vers le marron foncé) Le truc fait de la fumée.
- Le truc ?
- Ouais.
- Quel vocabulaire. Sérieux, heureusement que je te comprends. Ça vient directement du moteur ? Le grand bidule plein de turbines ?
- J'suis pas si bête.
Si elle détournait le regard pour vérifier, elle perdait le combat contre l'animal. Ne clignait-il pas les yeux ? Charlotte s'exaspérait.
- J'sais pas, finit-elle par dire. J'y comprends jamais rien à la mécanique.
- Non mais je vous jure, souffla Pamela. Personnellement, je parie sur un filtre à huile bouché. Mais là, je peux pas te dépanner, Lolotte, je te remplace jusqu'à six heures. Appelle le garage.
Charlotte observa le chat qui s'approchait d'elle d'un pas nonchalant. Elle posa sa main contre la vitre de la cabine. Viens. J'ai pas peur.
- D'accord, c'est pas grave. Dis, t'as laissé un peu du petit-déjeuner pour moi ?
- Bien sûr que non, rétorqua Pam comme si cela relevait de l'évidence. Je te croyais morte dans un fossé.
Elle marmonna incompréhensiblement. Sa sœur était si butée, autant que Charlotte, si ce n'est plus. Pamela avait toujours été la charismatique Hazelwine, avec ses talents pour l'automobile et son charme écarlate, elle pourrait fasciner les voyous du Bronx comme les princes Abyssiniens. Charlotte fascinait plutôt les enfants et les chats. Charlotte, l'aventureuse, la fille qui s'attirait des problèmes sans vraiment le vouloir, du genre à tomber en panne en rentrant d'une fugue.
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youth
Randomquand la lune rencontre le soleil : qui a peur de grandir ? qui a peur d'une muse consumée ? qui a peur de la mort ?