Chapitre 4 : Step

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le premier jour du reste de sa vie



- Il fait vraiment beau ce matin.

Le père de Charlotte se tourna vers elle avec un petit sourire mielleux. Dans son costume de travail, il paraissait à l'étroit : avec ses cheveux châtains clairs étaient coiffés vers l'arrière et son parfum d'homme hors de prix submergeait toute la voiture elle-même hors de prix, il ne ressemblait à rien de l'homme dont Hynd semblait éperdument amoureuse sur leurs vieux clichés. Charlotte ne supportait pas les voyages avec la voiture de son père : son air climatisé entêtant, le fait qu'Étiennene se concentre quasiment jamais la route, les discussions sans intérêt sur la pluie et le beau temps.

- Effectivement, répondit-elle entre ses dents.

Ajoutons à cela le bruit sourd de son moteur qui, ce matin, lui faisait l'effet d'un coup régulier dans le crâne.

- Tu as passé une mauvaise nuit ? s'enquit-il après un bref coup d'œil. Tes yeux sont un peu rouge.

CharlotteJay Hazelwine se tourna vers le paysage. Au contraire, se dit-elle les yeux fermés. Après avoir vomi tout l'alcool de mon corps dans le lavabo de la salle de bains, je me suis allongée sur mon lit et ait dormi comme un loir.

- C'est mes lentilles de contact, j'les ai mal mises ce matin.

Le père de Charlotte hocha la tête d'un air entendu, visiblement à court de sujets de discussion. Quand elle voyait Étienneainsi, elle se demandait si c'était bien lui qui, petite, lui serrait la main quand il la sentait effrayée et qui devenait aussi maladroit qu'adorable quand il s'occupait seul de ses deux filles. Que lui était-il donc arrivé ? Charlotte pencha discrètement sa tête vers le siège conducteur pour observer son père.

Sa ressemblance avec Pamela était frappante, tant au niveau du visage que dans la couleur de ses cheveux ; bien que sa sœur ait les traits plus fins et les tâches de rousseur plus marquées. Charlotte, elle, tenait de sa mère : elle avait son vaillant corps chétif, son regard fougueux, sa petite taille et bien sûr, son caractère. À vrai dire, le seul détail prouvant sa familiarité avec Étienne était la couleur de ses prunelles, aussi sombres que le café qu'il buvait en conduisant.

- J'espère que tu va apprécier ta nouvelle école en tous cas, reprit-il doucement. D'après ce qu'on m'a dit, Pilkington fait vraiment ses preuves. Tu n'es pas trop effrayée par la rentrée au moins ?

- Je n'ai jamais peur, répliqua dès lors Charlotte sur un ton se voulant confiant mais qui sonna cassant.

- Tu parles comme ta mère, sourit l'adulte. L'intrépide Charlotte ne pleure jamais ! (il se mit à rire) C'était ce que tu disais quand tu étais petite, tu t'en souviens ?

Charlotte sentit le rouge lui monter aux joues.

- J'en ai aucun souvenir à vrai dire, mentit-elle en se concentrant sur la route.
- La seule fois où tu as dérogé à la règle, c'était au concert des Smiths... (il reprenait peu à peu son accent français, qui revenait lorsqu'il était heureux.) Quelle chanson c'était déjà ?
- Asleep, répondit-elle sans oser croiser ses yeux.
- Tu vois que tu t'en souviens !

Elle risquait de ne jamais l'oublier. Asleep, leur dernière chanson (au sens littéral, le groupe s'était séparé en 1987) était de loin sa préférée du groupe. Elle se souvenait toujours aussi bien de la sensation de plénitude qu'elle éprouvait sur les épaules d'Étienne tandis qu'elle écoutait la voix nostalgique de Steven Morrissey, car alors, les larmes lui étaient montées aux yeux.

Les larmes lui étaient montées aux yeux car la petite blonde commençait à devenir grande, que son père ne lui serrerait pas la main pour toujours et que la voix de Steven Morrissey était destinée à s'étioler un jour.
Soudainement, Charlotte fut ramenée à la réalité par la voix d'Etienne qui avait pris un ton tangiblement plus réprobateur.

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