- C'est non.
- Maman !
Peut-être que Charlotte n'aurait pas dû lui parler de la France si tôt. Alors que sa mère s'affairait à la boutique, la jeune blonde suivait tous ses gestes, de l'arrière-boutique au comptoir et sa manière de passer entre les quelques clients. Sa grâce l'avait toujours captivée : elle bougeait comme une danseuse, quand elle marchait, elle volait. Petite, Charlotte se plaisait à l'imiter, c'est pourquoi il lui arrivait encore à ce jour de se déplacer sur la pointe des pieds. Quand elle parlait, ses mains s'activaient, ses doigts se mouvaient, ses paroles prenaient alors vie. En la regardant déposer les dernières boîtes de produits, Charlotte se surprit à faire danser ses doigts par imitation, et elle stoppa ses gestes en joignant ses mains, comme en signe de prière.
- Etienne veut juste nous rendre heureux avec ses moyens, dit-elle en haussant le ton pour se faire entendre de l'arrière-boutique et par dessus l'autoradio qui passait des chansons des années soixante.
- Et son moyen, c'est l'argent ? Dans ce cas-là, il ferait mieux de payer sa pension (Hynd soupira). Moi, je pensais que tu étais bien ici, Charlotte. Pas besoin d'avoir beaucoup d'argent pour être heureux, non ?
Dans la boutique, cela sentait l'encens et les vieux livres. Une odeur de renfermé plutôt agréable, en aucun cas dans le genre de la voiture d'Etienne, pas synthétique. Ce parfum apaisait Charlotte depuis toujours ; elle se sentit donc mal de prononcer ces mots :
- C'est pas ça maman, tu le sais bien, mais j'ai l'impression d'étouffer ici. Tu te rends compte que papa est français et qu'on n'a jamais eu l'occasion d'aller en France ? Et puis, j'ai la nationalité.
C'était plus un titre qu'autre chose, à vrai dire. Charlotte n'avait que son prénom de français, en référence à Charlotte Brontë, l'écrivaine préférée d'Etienne. Même son nom de famille provenait de sa mère.
Cette dernière rendit sa monnaie à un vieillard tout en conversant.
- On en reparlera, d'accord ? Va à l'école, maintenant. Tu vas être en retard.
- Mais j'commence à onze heures.
- Tu vas être en retard ! maintint-elle tout de même. Allez !
Avec un soupir, Charlotte mit son déjeuner dans son sac et chevaucha son bicycle, pédalant au ralenti en se rendant à son école.
Ce matin-là, son troisième jour à Pilkington, son seul cours était la Littérature. Littérature une heure le matin et une heure l'après-midi (ce détail amena Charlotte à penser que si ce lycée excellait par sa droiture, ses dirigeants n'en étaient pas moins des billes dans l'organisation du temps). Lorsque la petite posa son bicycle en arrivant, elle aperçut Joy devant l'établissement, qui discutait avec Bees tandis qu'un Aaron ennuyé semblait s'endormir assis sur les escaliers, un casque sur les oreilles. La veille, Bees et le garçon avaient ri aux larmes en voyant Charlotte, toute habillée, manquer de se noyer chaque fois qu'elle tentait une approche au centre du lac Bates. Joy Ziegler se mettait alors à feindre un grondement, assurant qu'ils défaillaient sa concentration. Elle lui apparut pourtant être une bonne professeure à ses yeux : elle était simplement dans son élément là-bas. Ce soir-là, Charlotte avait eu besoin d'une heure complète pour sécher son uniforme au sèche-cheveux de Pam, sous le regard inquisiteur de Hynd.
La jeune fille salua les adolescents d'un sourire et tenta de suivre la conversation.
- Comment veux-tu qu'on s'amuse au Bates Motel ? demandait Bees, enfumant ses yeux en amande. C'est totalement délabré là-bas.
- Putain que non ! répliqua Joy en tapant du pied. C'est l'endroit le plus cool de la ville. Si t'essayais de lui accorder un peu de ton temps, tu réaliserais à quel point c'est un endroit qui en jette un max. Tu trouves pas ?
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youth
Randomquand la lune rencontre le soleil : qui a peur de grandir ? qui a peur d'une muse consumée ? qui a peur de la mort ?