Le premier jour des vacances, Charlotte avait fait nuit blanche avec sa sœur. Elles avaient regardé Lolita de Kubrick. Pamela s'était avérée être une très bonne spectatrice : elle riait quand il fallait rire, s'indignait quand il fallait s'indigner et pleurait quand il fallait pleurer. Et Charlotte l'avait mimé toute la soirée ; Pam a les gestes contagieux, comme sa mère. À la fin du film, il y avait des larmes asséchées sur ses joues constellées, mais elle avait semblait si heureuse. Quand le téléviseur s'est éteint et qu'il n'y avait plus de lumière dans la petite pièce, sa sœur s'en est allée dans sa chambre en silence, Charlotte en fit de même. Elle souriait sans savoir pourquoi, sa tête penchée vers les étoiles.Elle aurait aimé avoir un appareil photo comme celui de Joy pour garder ce moment éternel, l'image des constellations nageant dans l'espace. Il n'était que trois heures. En cet instant, il lui semblait que la baie vitrée de sa chambre n'était qu'une peinture à l'huile ; irréel.
Le téléphone sonna.
Charlotte courut jusqu'au combiné avant que Hynd ne se réveille.- C'est toi ? dit-t-on à l'autre bout du fil.
Charlotte fronça les sourcils.
- Joy ? Pourquoi t'appelles si tard ?
- Il n'est que trois heures, chuchota-t-elle et la blonde l'imagina sourire.
- J'étais plus très sûre de ton adresse, reprit-elle, une vraie galère sur les pages jaunes. J'en suis à mon quatrième essai. (elle soupira) J'sais pas trop pourquoi je t'ai appelée. Je regardais le ciel et je me sentais éternelle.
Charlotte allait répondre qu'elle aussi, mais elle se ravisa aussitôt, se disant que cela paraissait assez évident. Ça ne pouvait pas être un hasard.
Elles se turent un instant. Charlotte s'accroupit sur le sol, le regard toujours rivé sur le ciel, et parla sans réfléchir.- Si ce que tu voyais en ce moment était un tableau, comment tu l'appellerais ?
Il y eut un silence, ou plutôt un bruit sourd, liquide. Joy buvait.
- Nuit âcre. Teintée de merde.
Charlotte pouffa silencieusement.
- Une allégorie, ajouta Joy, et Charlotte ne gloussa que plus fort. Et toi ?
Elle serra le combiné entre ses mains, observant les constellations qui lui faisaient face.
- Aurore boréale imaginaire... sur voûte céleste organique.
- Tu trouves le ciel organique ?
Elle répondit dans un murmure.
- Je le vois respirer.
Charlotte avait l'impression que son cœur s'était fait foudroyer. Le monde est un géant, dit-elle intérieurement. Un géant endormi.
- J'aimerais venir te voir, finit par souffler Joy, mais mon corps répond pas.
- Moi non plus. C'est cette odeur de cerise, elle m'endort.
- C'est ma liqueur.
Charlotte ferma les yeux. Évidemment. L'odeur de sa liqueur. Elle l'écouta fumer quelques temps.
- Tu sais, reprit Joy après un moment... Je sais pas si je devrais te le dire, Charlotte. Sûrement pas.
- De quoi ?
- Tu vas me prendre pour une folle. Je le suis peut-être, mais pour ça, écoute-moi. Je le prends au sérieux.
- Tu es déjà folle à mes yeux. Quelle importance ? Dis-le-moi.
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youth
Randomquand la lune rencontre le soleil : qui a peur de grandir ? qui a peur d'une muse consumée ? qui a peur de la mort ?