Chapitre 6 : You're A Germ

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Le lendemain, tout fut différent pour Charlotte. Dès son réveil, elle l'avait senti : peut-être était-ce à cause du ciel qui semblait avoir pris une teinte inhabituelle de rougissement timide, ou alors était-ce la bouilloire au rez-de-chaussée qui sifflait une octave trop bas, mais qu'importe, elle adorait ça. Elle se sentait plus heureuse, plus vivante. Et pourtant, rien de bien conséquent au manoir n'avait changé, et ce aussi loin qu'elle s'en souvienne. Ses habitudes aussi étaient restées les mêmes jusqu'à ce jour : chaque matin, Charlotte observait Hynd fumer dans le jardin en buvant sa tisane, puis elle observait Pamela se maquiller en enfilant son uniforme, et les corbeaux sur les fils électriques, en sortant de chez elle.

Mais ce matin-là, rien ne se déroula comme d'habitude. Pour commencer et en accord avec sa nouvelle lubie, Hynd s'était levée de bonne heure dans le but de ranger le grenier, allant et venant sur le parquet grinçant, réveillant ainsi Charlotte à une heure bien trop avancée. Du troisième étage, la mère avait fait irruption dans sa chambre, une énorme valise entre les bras.

- J'ai trouvé quelque chose qui pourrait te plaire, Lolotte, avait-elle sourit en essuyant son front. Il y a toute ma vie universitaire, dans cette caisse.

Charlotte avait alors ensuite passé son matin entourée de piles de vêtements, à crouler sous des albums de Bonnie Raitt et de souvenirs à l'odeur des sixties et de cerise. Elle avait même essayé les vieux vêtements des beaux jours de Hynd qu'elle découvrit comme un trésor au fond de la malle, entourés d'un tissu extravagant : une longue jupe moutarde et un tee-shirt noir qu'elle ne voulut plus quitter.
Quand elle s'observa dans la glace, elle ne put retenir un rire, quel comble ! Elle était devenue le double de Hynd.
Depuis toujours, elle voyait cet endroit comme un lieu enchanté ou rien ne changeait, ou le temps s'était tout bonnement suspendu. Le seul jour un tant soit peu différent de tous ces matins passés à observer le monde, voilà qu'il finissait par ressembler au jour des vingt ans de sa mère ! Charlotte se résigna à penser que si le manoir Hazlewine était une personne, ce serait sans conteste un vieillard redondant.

Puis arriva la tornade Joy Ziegler.

- Bonjour madame Hazelwine ! s'écria-t-elle à huit heures pile au seuil de la porte, les clés d'un pick-up flambant neuf dans la paume.

Essoufflée par le travail, Hynd Hazelwine posa sa paire de lunettes semi-cerclées sur le nez de sa main qui fumait. L'autre main portait un énième carton. Même une fois sa vision rétablie, elle ne sembla pas situer Joy. Cette dernière n'en démonta pas son sourire.

- Je suis Joy, dit Joy en posant la main sur son torse. Je suis venue déposer Charlotte à Pilkington.

On entendit des bruits de pas rapides descendre les escaliers. La tête de Pamela fit irruption dans l'encadrement de la porte, un seul œil maquillé et la chemise à moitié boutonnée.

- C'est Joy Ziegler, Hynd, soupira-t-elle amusée. Lolotte nous parle d'elle, genre, huit fois par jour depuis le début de la semaine.

Le visage de la mère s'illumina.

- Oh ! Oui, oui. Joy. Quel joli prénom (puis elle hurla). Lolotte !

- J'arrive !

Peu de temps après, une autre tête apparut dans l'encadrement, une Charlotte un peu plus radieuse que d'ordinaire affublée d'une énorme paire de lunettes à la monture transparente. Joy se mit à rire imperceptiblement.

- Heu, Lolotte ? (elle s'esclaffa de nouveau) Je savais pas que t'étais bigleuse, dis-moi. 

Charlotte remonta sa paire sur son nez et leva le menton pour se donner des airs courageux.

youthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant