Chapitre 12

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(Merci à toutes celles et ceux qui commenteront. Attention, ce chapitre est plus long que le précédent  et contient des passages assez dégoûtants. J'espère que cela vous plaira quand même :o )


Comme un mort sort de sa tombe, avec une lenteur mesurée et presque effrayante, la barque avançait sur le Styx. Ses deux voyageurs et son meneur se découpaient à peine entre les méandres surgissant du lac.

-Mais au fait, pourquoi le numéro 512 ?

Renji avait posé sa question après avoir tourné la tête vers Charon. Pour une raison qu'il ignorait, il se sentait serein et même apaisé depuis que cet étrange tatouage supplémentaire était apparu sur son corps. Il savait au fond de lui que cela n'avait rien de positif, mais si il pouvait posséder par ce biais la puissance suffisante pour accomplir son objectif, il l'accepterait.

Autour d'eux, plusieurs cadavres s'adonnaient à un étrange concert. Avec des fémurs comme baguette, l'un d'eux tapait à s'en déboiter les épaules sur un tambour fait du squelette et de la peau tendue d'un de ses congénères. Un autre tambourinait à l'aide de côtes les parois froides de la grotte prolongeant le Styx. Dans cet Enfer de rythme, la sombre symphonie des morts accompagnait les voyageurs.

Enfin, alors que le shinigami avait presque oublié sa question, le gardien du Styx se décida à lui répondre :

« Nombre de fous et impertinents ont désirés franchir les portes des Enfers pour y récupérer leur dû. 511 vous ont précédé. Vous êtes le 512 ième...»

Le vice-capitaine ravala sa gorge. Il avait l'impression d'être un nom de plus ajouté à un registre.


Mais une question germa aux lèvres de Jirou :

-Quoi ? Mais c'est impossible ! Comment se pourrait-il que, depuis l'existence millénaire des Enfers, seuls 512 personnes aient été amenées à y atterrir ?

-Ne sont numérotés que les êtres qui sont venus en Enfer de leur plein gré. Les impertinents qui, pour des raisons obscures, sont venus défier le Diable pour récupérer les choses que la vie leur avait volé.
Beaucoup de ces fous... Ne pouvaient pas être humain pour penser fouler le sol des Enfers et en sortir. Jusqu'ici, plus d'un milliers d'êtres ont tenté de retrouver leur âme sœur, un être cher, un destin perdu, en croisant les yeux du Maître de ces lieux...

-Et... Ils ont réussi ?

Renji était évasif. Il avait concentré au maximum son ouïe sur le concert donné par les damnés à côté d'eux. Pourtant, la voix de Charon résonnait dans son crâne, aussi fort que la mélodie des squelettes le faisait dans la salle. Sur aucun de ces corps en lambeaux ne figurait un numéro...

-On ne sort des Enfers que si une personne passe un pacte avec le Diable. Pour chaque personne tombée en Enfer, une autre doit promettre de donner son âme au Diable au moment de sa mort. Les deux âmes emprisonnées sont ainsi libérées. Mais le châtiment de l'âme réservée au Diable est une sentence bien pire encore que tout ce qui aurait pu l'attendre.

Le shinigami s'efforça de regarder de nouveau face à lui. Il ne pouvait plus faire machine arrière. Le dragon que formait la barque avançait résolument. La grotte semblait s'éterniser sans jamais cesser, et les décors se répétaient comme un manège tournant en rond.

Et il était trop tard pour se dire qu'il aurait tant préféré que ce manège continue, plutôt que de voir apparaître devant lui une étrange île au centre de laquelle trônait un curieux jardin.

Il était d'autant plus atypique que ses airs de verger et son royal pommier central dénotait complètement avec le reste du décor. Il était baigné sous une lumière d'origine inconnue. Le brouillard ambiant du lac ne semblait pas l'atteindre, et pour une raison obscure, aucun des damnés ne tentait de s'en approcher.
Au fur et à mesure que la barque menée par Charon se rapprochait du mystérieux ilot, Renji comprit.

Le jardin tenait sur du vide. Comme un nuage tient dans le ciel, le verger et son herbe émeraude ne s'ancrait dans aucun sol. Et les racines du pommier qui semblait agir comme un socle étaient absentes, comme coupées net, si peu qu'elles aient exister.

La barque s'arrêta. Les deux voyageurs venaient d'arriver à bon port.

-Serait-ce... Une réplique du jardin d'Eden ? Risqua le vampire en quittant le bateau.

-Tout juste, répondit Charon en descendant à sa suite. L'Enfer veut réserver un glorieux paradis inaccessible aux damnés.

Les trois silhouettes approchaient de l'arbre royal. Renji le considéra. Même du haut de son mètre quatre-vingt-huit, il se sentait minuscule face à cette majesté. Pourtant, un sentiment d'assurance et de force démesurée avait envahie le vice-capitaine.

Renji tenta de respirer. Les sentiments qui l'envahissaient. N'étaient plus les siens. Son pouls s'accélérait. Il baissa son regard jusqu'au tatouage qui lui avait été tracé sur le plexus. De cette marque s'échappait une aura maléfique, une aura qui l'amenait à devenir ce qu'il ne voulait pas.

Le fier rouquin releva la tête face à lui, et reconsidéra l'arbre.

-Le prix... Te sera bientôt communiqué, Renji Abarai...

L'intéressé trembla, il se retourna furtivement pour s'apercevoir que son égoïste contemplation intérieure avait amené plusieurs malencontreux évènements à avoir lieux.

Charon, sa rame transformée en faux, tenait Jirou fermement contre lui. Le vampire se débattait de toutes ses forces, mais le gardien du Styx, qui jubilait pudiquement de sa mâchoire unique, ne lui laissait aucun recours.
Dans cette bouche difforme, Renji vit le sourire qui trahissait l'éclatement de son irréfutable échec : il avait oublié sa mission. Protéger son client. Coûte que coûte.

Le shinigami voulut courir droit vers son opposant, mais il n'eut pas placé un premier pied devant lui qu'il sentit quelque chose d'anormal : il n'y avait pas de sol.
Le shinigami se retourna. C'est alors qu'il comprit. Si le vide entourait cet arbre, c'était parce qu'il dégageait une atmosphère de paix salvatrice pour les âmes atterries en Enfer. Mais pour être sur de perpétuer leur calvaire, pour s'assurer de démolir la moindre bribe de leur chair, l'Enfer avait entouré cet arbre d'un vide attirant. Et son âme, trop en peine pour lutter, s'y était engouffrée.
Comme un requin sans nageoire qui serait tombé à l'eau, Renji tendit la main vers son acolyte prisonnier. Il était la seule personne qui pouvait encore donner une justification à son existence misérable...

Le shinigami dégringola dans un gouffre sans paroi ni douleur, sa main toujours tendue vers Jirou. Ce dernier, inconscient, demeurait dans les bras crochus de Charon.

Bleach - Le Mystère du Pont Mellor [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant