Chapitre 9

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Point de vue Jek :


Le bar est calme, à cette heure là. C'est l'entre-deux où y'a quasiment personne, où on entend correctement le fond de musique, le style fin des années 70. Même l'aiguille qui infiltre l'encre sous les peaux de l'autre coté on l'entend presque pas. C'est calme, pas trop, mais assez. Et bordel que ça fait du bien. Y'a même pas de gars encore bourrés pour faire chier, pas de filles qui essayent de passer de l'autre coté du comptoir pour se servir, pour m'approcher ; les avances on les connaît tous, ici. On y passe chacun notre tour. Mais surtout, y'a pas d'âmes errantes qui viennent chercher refuge. Y'a pas Jelena, non plus. Elle préfère quand c'est bruyant, elle. Quand les murs vibrent, que ses tympans vrillent. Toujours à la recherche d'un je ne sais quoi qui n'existe pas. Mais peut-être que moi aussi dans le fond j'faisais parti des errants qui venaient ici, avant.

C'est la lumière tamisé qui m'a séduite ; ça donne confiance, le manque de fenêtre qui donne l'impression d'être caché, caché à l'abri des regards, de tout, de ces trucs en surface que la plupart des gens détestent. D'être caché des fautes, des erreurs, des crimes, de la monstruosité. Le bar il est situé en sous sol, un peu. Y'a juste une genre de petite pièce avec un escalier en haut, une pancarte qui dit, allez-y descendaient, ici le paradis se trouve en enfer. Mais les gens font même plus attention. Même Sun l'a pas remarqué, Jelena la première fois ça l'a fait marrer, elle est descendue directement. Moi j'étais juste resté planté devant, en attendant qu'on me dise auquel des deux j'étais destiné.

Ce bar c'était l'entre-deux idéal, qui me faisait ni trop sentir coupable, ni trop innocent. Mais j'crois pas que les ivrognes l'aiment pour ça, non eux ils aiment bien parce que y'a pas la lumière trop forte du jour, trop forte des lampadaires qui leur défonce les yeux après quelques verres, suivis de quelques joints. Ils ont pas à grimacer, se demander si y'a leur femme ou leur gosse qui les verront à travers la vitrine ou la porte d'entrée. Ici tout se fait en secret. Et c'est ce qui plaisait à Harry. Il dit que tout doit se faire en secret, ce qu'on fait ici, ce qu'on fait là-bas, l'arrière du boulot, le coté pile plus noir encore que le coté face.

Jelena elle aime pas me laisser tout seul. Et je sais toujours pas si en fait c'est sa solitude à elle qu'elle supporte pas, à la place. Du coup, souvent elle m'accompagne. Elle s'assoit à une table, dans un coin mais pas trop loin, elle prend un magazine volé quelque part, elle feuillette les images, et quand c'est fait elle jette, vient commander un verre. Et j'aimerai lui dire arrête Jey, arrête de boire, putain t'as que 17 ans et tes mains elles tremblent déjà. Mais je fais ce qu'elle veut, c'est con mais je veux juste la rendre heureuse, moi. Parce qu'elle le mérite, après tout ça. Et avec un verre elle sourit, plus encore avec deux, et je donnerai tout pour la voir sourire, y'a pas à dire. Mais y'a des fois où elle a pas le temps de venir au bar près de moi que y'a des femmes qui s'y amassent, elles commandent mais y'a pas que ça qu'elles veulent ; Jey supporte pas.

Alors elle se rapproche, elle est là, aux aguets, contemple sa proie. Donc je fais comme si je comprenais pas, je souris, j'dis bonne journée, et je les éjecte une par une, parce que je sais que Jelena elle se contrôle pas, elle a jamais apprit à le faire, elle a jamais rien apprit tout court, en fait. Pour éviter les problèmes, quand elle vient pas, occupée à faire la fête, quand elle s'absente, pressée de retrouver Sun après la sortie de son lycée, je lui dis que la journée était calme, pas une nana à l'horizon. Pas d'avance et pas de décolleté mis sous le nez. Ça la rassure ; elle me croit, me croit toujours.

C'est le cas, aujourd'hui. Elle a dit qu'elle partait faire les boutiques, ça signifie plutôt qu'elle va se planquer dans les cabines, foutre des vêtements sous les siens, arracher les étiquettes avec ses dents, ou si elle est en manque d'adrénaline, elle va simplement choper un truc, se mettre à courir. Je compte plus les fois où elle s'est fait virer des familles d'accueil à cause de ça ; ils en avaient marre d'aller la chercher au commissariat. Moi j'ai trouvé un emploi pour l'accueillir chez moi, quand plus personne n'a voulu d'elle. Mais dans le fond, c'est surtout elle qui voulait personne ; elle a jamais plus supporté les règles, les lois, les horaires et tout les trucs qui font que t'es pas à cent pourcent libre. Et moi quand je pouvais, je la couvrais ; je l'ai toujours couvert, parce que c'est ce que je suis censé faire.

Elle a précisée qu'elle reviendrait pas tard, moi je lui ai dis de prendre son temps, mais j'ai pas trop insisté pour pas qu'elle croit que je voudrais pas qu'elle revienne, parce que bien sûr que je veux qu'elle revienne, ça a rien à voir. C'est juste que les moments comme ça, je les apprécies, purement et inconsciemment. Je me retrouve un peu, moi, moi tout seul et moi-même, et ça doit bien faire huit ans que je le fais plus. Je dois savoir où je vais, qui je suis, et je peux pas le faire quand elle est là, parce que sa main touche pas ma peau comme elle le devrait. Je suis corrompu, dans le fond. Je sais plus bien où est ma place, quel rôle je dois avoir. Et y'a des fois où ça me fou profondément mal, quand je vois où on en est, alors que rien n'était prévu pour être comme ça.

Je sèche les verres avec un torchon, le balance sur mon épaule quand c'est fait, hoche la tête vers un mec qui vient de s'installer. Je lui demande ce qu'il veut, le sert, passe à autre chose. Puis y'a une fille qui rentre. J'entends ses pas claquer contre les escaliers, pas légers et discrets. On a pas l'habitude ici. Ses cheveux décoiffés et ses yeux arrondit lui donnent un petit air affolé ; me font penser à Sun ; même cheveux bruns, petite carrure, corps fin, moyen, courbes intrigantes et yeux noisettes. Je me demande un instant si c'est pas elle, mais son short court et son débardeur, ceux qui dévoilent son corps ; totalité des bras, des jambes et le haut de la poitrine m'affirment clairement que ça ne l'est pas.

-Je peux t'aider ?

Je parle un peu fort, m'assure qu'elle peut m'entendre de là où elle est, encore dans la partie du milieu, celle qui te laisse choisir si t'es partant pour un verre, ou pour te faire graver la peau, un truc que ça par contre tu devras garder à vie. Elle tourne la tête vers moi, sourit, s'approche.

-Ouais, je pense. J'ai rendez-vous à quatre heures moins le quart, mais je crois que je suis en avance. Ma fichue montre a rendue l'âme et j'ai oubliée mon portable.

Elle grimace en riant un peu, je souris à mon tour.

-C'est pas de chance. Un verre pour te réconforter et te faire patienter ?

Elle acquiesce, je lui fait signe de s'asseoir ; elle s'exécute, prend place sur le tabouret face à moi. Elle a choisit les deux camps, elle.

-Bon, laisse moi deviner.

Je pose mes mains à plats sur le comptoir, plonge mes yeux dans les siens, m'amuse -c'est vrai- à la déstabiliser légèrement.

-Vin blanc ou Mojito ?

Elle finit par lâcher un rire en remuant la tête. Ses cheveux lui reviennent devant le visage, elle les replaces, moi je l'écoute, ça me fascine presque le rire des gens, c'est con, mais c'est important, le rire des gens. Mon préféré reste celui de Jey.

-Ok t'es fort. Les deux s'il te plaît.
-Eh bah !

Je m'exclame un peu surprit, les sourcils haussés. Alors amusé, je poursuis :

-Dis moi que tu tiens bien l'alcool ? Je voudrais pas que de ma faute tu te retrouves à vouloir te faire tatouer le cul d'un chat.

En riant plus fort, elle pose son menton sur sa main, se défend, elle jette un regard en même temps que moi à la souris de cartoon, fesses en l'air, tatouée sur le coté de son épaule que j'ai remarqué à peine plus tôt.

-J'avoue que je le regrette vachement celui-là ! Mais ça va, j'ai juste perdu un pari le jour de l'enterrement de vie de jeune fille de ma sœur, je pouvais pas échapper à ça !
-Je compatis.

J'attrape la bouteille de vin blanc fraîche, lui sert un verre et le lui donne en attendant de préparer son cocktail. Elle pose ses coudes sur le comptoir, ne touche même pas à sa boisson, me fixe un moment.

-Bon, moi c'est Casey.

Je me tourne vers elle, lui adresse un clin d'œil joueur en lui répondant.

-Jek.

Et étonnement ça fait un bien fou de rencontrer quelqu'un qui me connaît pas, qui sait rien, qui me laisse être le Jek que je veux.

-Ok, Jek. Ben figure toi que je suis désolée pour toi, mais t'es un putain de mauvais barman.

Elle recommence à rire, s'arrête jamais, on dirait. Moi je fronce les sourcils, comprend pas vraiment, vérifie quand même que je lui prépare correctement son Mojito, le Mojito spécial maison avec les bons ingrédients.

-Je bois pas d'alcool, ni vin blanc, ni Mojito. Par contre je voudrais bien un coca s'il te plaît.

Je rejette la tête en arrière, lâche un grognement contrarié et son rire s'amplifie tellement que le gars que j'ai servi quelques minutes avant lui demande de se la fermer.

-Sérieusement ?
-Eh oui, désolée mon joli.

Elle se calme un peu, moi je gonfle les joues exprès, lui donne quand même une canette et un verre avec des glaçons à l'intérieur.

-Merci bien.

Je souris, lui fait un signe de tête signifiant que, pas de soucis c'est avec plaisir, m'accoude au bar à mon tour et la regarde boire.

-J'étais jamais venue ici. Mais c'est cool. Peut-être que je reviendrais.

Ses yeux se relèvent lentement vers moi, je scrute son visage ; le petit rictus au coin de ses lèvres, le grain de beauté sur sa pommette, ses cils recouverts de mascara. Elle est belle. Mais une beauté différente de celle de Jelena. Une beauté discrète, innocente. Jey elle, sa beauté elle est sauvage, cachée sous sa peau de lait. La beauté de Jey c'est quelque chose qui frappe sans que tu t'y attendes. Y'a juste un moment où tu finis par t'en rendre compte, à quel point elle est belle. Et à partir de là c'est fini, tu peux plus t'en défaire. C'est une beauté aux pouvoirs enchanteresse.

-Tu devrais revenir, ouais. Y'a pas de meilleur bar qu'ici.
-Monsieur est prétentieux ?
-Monsieur est réaliste.

Je me redresse un peu, et j'crois que ça fait un moment que j'avais pas parlé aussi naturellement à une fille. Mais c'est vrai, c'est comme le vélo, ça s'oublie pas. Pourtant ça je l'ai appris avant mes sept ans.

-En réalité, je comptais même pas me faire tatouer. C'est juste que j'avais pas capté que y'avait un bar à coté, et que je voulais absolument descendre.
-Tu voulais absolument descendre ?
-Oui, je voulais voir à quoi ça ressemble le paradis et l'enfer qui cohabitent.

Intrigué, je cherche à savoir si elle se moque de moi, mais elle est sérieuse, ça se voit. Y'a un truc qui se réveille à l'intérieur de moi, un truc comme de la curiosité.

-C'est pour la même raison que je suis venu ici pour la première fois.
-Alors qui sait, peut-être que je finirais derrière le comptoir aussi.

Elle me désigne du menton, mais je me dis que dans tous les cas ça sera jamais la même chose pour elle que pour moi.

-Peut-être bien. Mais tu pouvais simplement venir faire un tour au lieu de demander un rendez-vous.

Elle fait glisser un glaçon sur sa langue quand elle a finit son verre, je la regarde faire, sourire aux lèvres, elle grimace, l'avale et ça me donne envie de faire la même, de sentir le froid.

-Ben en fait, on m'a demandé si je voulais me faire tatouer, quand je suis descendue... et je sais pas dire non.
-Ah tu sais pas dire non ?

Elle secoue négativement la tête de droite à gauche, mais cette fois ses cheveux restent soigneusement coincés derrière ses oreilles.

-Intéressant.

Je la vois lever les yeux au ciel ; je ris, hausse les épaules, et d'un coup, quand j'entends mon propre rire, aussi honnête et aussi libre, ça me frappe ; je repense à Jelena. Elle aimerait pas ça, si elle me voyait. Elle aimerait pas du tout. Elle me dirait « pourquoi tu fais ça, Jek ? Je croyais que y'avait que moi. » et moi je répondrais que c'est vrai, y'a qu'elle, y'a toujours eu qu'elle. Parce que c'est vrai, moi je m'en vais pas, quand elle couche avec un autre. Moi je lui pardonne, je pardonne toujours parce que je me souviens et que je sais, et que pour elle je dois pas oublier. Elle c'est pour effacer le passé qu'elle fait tout ça, ; j'peux pas lui en vouloir, juste l'encourager.

Mais y'a des fois où j'arrive pas à la contrôler. Y'a plus personne qui peut le faire après tout ça, même pas elle. C'est juste des moments d'impulsivité qui lui viennent et qui l'obligent. Après elle respire mieux. Mais ça finit toujours pas revenir. Non, Jey si elle pète un câble, sa tête elle finit par se retrouver entrain de claquer contre un mur, et je veux pas de ça.
Et d'un seul coup, on me refout les pieds sur terre.

-Salut bébé.

Sa voix. Puis sa bouche qui s'écrase avec force contre la mienne ; un mouvement brusque, peu contrôlé. Sa langue qui se faufile férocement dans ma bouche, ses mains qui glissent dans mes cheveux. Je pose une main dans le creux de son dos, grogne contre ses lèvres, lui dit silencieusement « c'est quoi ça ? ». Mais la tempête je m'y attendais, on pouvait pas passer à coté. Je recule ma tête au bout d'un moment pour la regarder, et quand je compte la présenter à Casey, je me rends compte que la place où elle était assise est vide. Je me mords la langue. Elle reviendra pas, tout compte fait. Elle a juste laissé un billet pour payer ses boissons, même celles qu'elle m'a dit de faire pour déconner, celles auxquelles elle a même pas touchée.

-Putain elle te draguait ?
-On parlait juste, Jey.

Je lui remets les cheveux en place, c'est un geste habituel et machinal, depuis le temps. Elle remue la tête, et c'est comme si je la voyais de mes propres yeux la jalousie qui lui tord les entrailles et qui remonte le long de sa gorge, un truc acide et brûlant qui donne des envies puissantes. Son regard se balade partout, ne se pose pas une seule fois sur moi, et je comprends qu'elle est contrariée, et bientôt la contrariété laissera place à la colère, et je peux déjà la voir, sa mine furieuse.

-On en reparlera ce soir, ou quand tu veux, ça marche ?

Je pose mes lèvres sur son front, elle se détache un peu, se frotte le coin de l'œil.

-Je veux pas en parler.

Elle attrape le verre de vin blanc toujours plein de Casey sur le comptoir, s'éloigne en le buvant quasiment d'une traître, et moi cette fois je la laisse aller, lui dit simplement désolé même si c'est pas ce qu'elle voudrait. Mais moi non plus j'ai jamais vraiment eu ce que je voulais.

Je continue de travailler jusqu'à ce que Zayn vienne me remplacer, et avant de partir je jette un coup d'oeil au salon de tatouage, mais aucune trace de Casey.

Jusqu'au soir, Jelena et moi on se dit pas un mot. Je laisse la situation être lourde, pesante. Ça nous arrive pas souvent, mais au moins je me dis que je pourrais être un peu seul, même à la maison. Parce que sinon y va bien avoir un moment où je vais exploser, où je vais plus pouvoir. Ça menace à chaque fois, mais je contiens, je contiens. Un jour, je pourrais plus.

J'allume l'eau froide de la douche, me glisse dessous, et ça provoque comme une brûlure désagréable, m'indique que la température est à la limite du raisonnable. Mais je m'en fiche, au moins j'ai mal, quand j'ai mal je pense qu'à la douleur, ça aide à penser à autre chose. J'ai bien fermé la porte à clefs, même si c'est un truc que je fais jamais. Mais là la corde elle tremble, et je pouvais pas prendre le risque qu'elle vienne avant de la retendre. J'entends la poignet s'abaisser ; je l'ignore. Je me laisse glisser le long de la paroi de la douche, je devine que mon dos devient rapidement rouge ; c'est désagréable la sensation de frottement contre ma colonne vertébrale.

Je m'assois, passe fortement mes mains sur mon visage, j'essaye de me rassurer, y'a des « ça va aller Jek » qui tournent en rond dans ma tête, mais là ça suffit pas. Puis y'a l'envie de crier qui vient, et je dois serrer les dents, mordre ma main pour la faire passer. Jelena elle se demanderait quoi, elle poserait des questions, elle s'inquiéterait, aussi. Faut pas. Je me demande alors comment on a pu en arriver là, ce qui s'est passé dans notre putain de vie pour qu'on devienne comme ça. Parce que c'était pas notre destinée, non ça l'était pas. C'était écrit dès notre naissance que c'était pas censé se passer comme ça, c'est logique, c'est logique aux yeux de tout le monde, même des miens, mais pas à ceux de Jelena. Et peu à peu, elle commence à les voiler, mes yeux, et j'ai peur de bientôt plus pouvoir voir, moi non plus. C'est pas naturel, putain. Ça l'a jamais été ; ça le sera jamais. Et ça, ça c'est un truc qui bouffe, irrémédiablement. Ça bouffe de l'intérieur et ça pourrit.

Mes doigts s'appuient contre mes yeux de façon douloureuse, comme si ça allait me calmer, bloquer le passage des larmes, mais de toute façon on pourrait pas les deviner, elles se confondent avec l'eau. C'est surtout qu'elles devraient pas couler maintenant. Pas couler du tout.

Je m'assois au pied de mon lit une fois que je suis à moitié séché, à moitié habillé. Le temps il est gris depuis ce matin, même depuis ces derniers jours, et d'habitude je m'en fous, parce que je me réfugie au Light Years, le bar dans lequel je travaille. Malgré la nuit qui commence à tomber, on perçoit encore les arbres qui s'agitent, la pluie s'abattre au sol, rebondir sur le pavé humide. Ça me fait frissonner, ce temps de merde, avec la fichue impression que la météo elle est liée à tout ce qui se passe dans le cœur, et je me demande si ça marcherait ; si je me disais que je suis bien, est-ce que le soleil il reviendrait, il éblouirait. Mais putain c'est stupide, et je jette un coussin que j'attrape sur le lit contre le mur, le geste un peu enragé, un peu déchaîné.

Je l'entends rentrer dans la chambre, je garde la tête baissée, la baisse même un peu plus ; l'envie nouvelle de pas la voir. Et j'aime pas ça, ne pas vouloir la voir. Ça me fait sentir mal. Mais tout me fait sentir mal, et je me perds entre les sensations, les bonnes et les mauvaises. Je les distingues presque plus.

-Jek... Qu'est-ce que t'as, hein ?

Sa voix est douce, elle aime pas me voir comme ça, je le sais, je comprends. Elle s'accroupit en face de moi, ses doigts cherchent les miens, s'y nouent, les serres.

-Est-ce que t'as pleuré ?

Je remue négativement la tête.

-Non, pourquoi j'aurai pleuré ?

Mais ma voix elle est rauque, me trahit.

-Je sais pas.... mais je connais cette tête.

Une de ses mains lâche la mienne pour venir passer sous mes yeux ; je les fermes brièvement. Ce touché là je voudrais qu'il soit le seul qu'elle ait.

-Juste... Je veux parler mais j'y arrive pas, alors j'inspire, j'continue un peu difficilement. Je suis fatigué, faudrait que je dorme.
-Est-ce que je peux faire quelque chose ?

Mais non elle peut rien faire, sûrement pas elle. Sa main caresse mon visage, ses bras se glissent autour de moi, elle me serre ; je m'y laisse aller. J'aimerais juste avoir que ça. Sauf que Jelena elle a toujours en tête d'aller plus loin, et je devine qu'ici c'est le cas avant même de sentir sa langue traîner de ma gorge jusqu'à ma clavicule, de ma clavicule jusqu'à mon torse nu.

-Je sais exactement ce qu'il te faut...

Ses lèvres s'étirent ; je sens ses dents contre ma peau. Je ferme plus fort les yeux. Non Jey, j'ai envie de dire. J'voulais juste que tu me berces jusqu'à ce que je m'endorme, comme moi je faisais avec toi avant. J'avais pas envie d'enlever nos vêtements. Moi je souris pas, non je souris pas, je l'aide même pas à baisser mon jogging, je garde le cul posé au sol ; j'ai pas l'intention de bouger. Mais elle force, et quand elle force moi je cède, automatiquement ; j'suis pas assez fort.

Pourtant je veux plus la voir faire ça, mais elle recommence, toujours, comme si je pouvais pas m'en passer, mais c'est vrai que je la laisse faire ; je peux pas faire autrement. On est prisonniers d'un putain de cercle vicieux où ni l'un ni l'autre veut se blesser, alors on se plie aux envies, moi sûrement plus qu'elle. Y'a eu une fois où je l'ai regardé, le rasoir, celui qui des fois coupe la peau de Jelena. Y'a eu une autre fois où je l'ai frôlé, le flingue, avec l'envie de me foutre une balle. Mais c'est pas la solution. Et dans le fond je veux pas mourir. J'vis trop bien pour mourir. Mais Jelena elle, elle vit trop, elle vit tellement qu'y'a la mort dans son ombre, celle qui la rend à fleur de peau.

Pourtant faut se le dire, même quand j'ai pas envie, ça vient progressivement ; ça vient à cause de sa voix mielleuse et sournoise, de son bassin contre le mien, de sa bouche, de son corps doux et chaud. Et j'y peux rien, des fois. J'suis un mec, ce que j'ai entre les jambes je le contrôle pas tout le temps. Je réagis à elle, le fait exprès ou pas. Mon esprit il sait plus trop bien ce qu'il est censé faire, de toute façon. Je réponds pas, laisse faire. Parce qu'encore une fois c'est Jelena, qu'elle a besoin de ça, combler les pulsions, et je suis là pour ça. Je laisse mon dos s'écraser contre le pied du lit, ferme les yeux, repense à cette fille, celle du bar, Casey. En une fraction de seconde, je me mets à l'imaginer à la place de Jey', j'm'en ronge presque les ongles de culpabilité.

Mais la sensation de nouveauté, de frais, qui donne l'illusion d'avoir le contrôle, alors qu'en réalité, les sensations bouffent de l'intérieur, font du bien puis poignardent, ça me donne envie, me rappelle amèrement que si ça c'était pas comme ça, tout serait comme je le souhaite, aujourd'hui. Je veux que ça change, que les choses se bougent ; me retrouver seul, moi, mon esprit contaminé, celui à mettre en quarantaine d'urgence, avec une Jelena qui serait tout autre de ce qu'elle est. Mais peu importe, dans le fond. Parce que je l'aime, Jey', et je sais que dans n'importe quelle version, c'est ce que je ferais.


Point de vue Sun :


Cigarette au bord des lèvres, cheveux toujours décoiffés à cause de l'emprise que j'avais dessus tout à l'heure ; cela fait déjà quelques minutes qu'il me fixe. Je me souviens encore de la sensation étrange de ses boucles enroulées autour de mes doigts, de l'odeur de son shampoing. Et je veux pas l'oublier. Là, tout de suite, je serais capable de retracer ce que cela fait avec un crayon, remplir la feuille blanche qui m'a toujours trotté dans la tête. Je pourrais utiliser pleins de couleurs pour montrer à quel point cette chose là fait aussi voyager, à sa manière. Puis je pourrais laisser des traces indéfinis pour me rappeler que le contrôle, dans ce genre de moment, on a beau l'avoir imprégner depuis des années, il a l'air de se volatiliser facilement.

Harry ne lâche pas un mot, ne détourne pas son regard de moi, se contente de fumer, d'inspirer et de recracher dans ma direction ; cela me fait plisser le nez. Mais je garde le silence. Il est de bonne humeur, je veux qu'il le reste. Je finis tout de même par me redresser du canapé, attraper les quelques affaires qu'il a laisser tomber quelques instants auparavant au sol, mais j'ai à peine pu penser au fait que je devrais remettre mon pantalon qu'un grand escalier en colimaçon attire mon attention. Je me dis qu'il y a peut-être la salle de bain là-bas, que cela m'arrangerait parce que j'aimerais y faire un tour. Sauf qu'il se redresse à son tour, dos droit ; il a retrouvé la posture du chef de tribus.

-Tu comptes rester à moitié à poil encore longtemps ? Pas que ça me dérange, hein.

Je sens mes joues qui s'empourprent ; enfile rapidement mon pantalon en lui faisant signe que non ; ce n'est pas ce que je comptais faire, je me sens mieux avec mes vêtements ; on se cache plus facilement, quand on est pas nu, parce que être nu et mis à nu, c'est un peu la même chose.

-Bon cool alors, je te raccompagne pas à la porte, si ?

Je fronce un instant les sourcils, il y a ma bouche qui s'entre-ouvre de surprise. J'essaye de voir s'il est sérieux, je le regarde longtemps, mais je ne distingue pas son sourire en coin, son léger rictus, et même ses yeux n'ont plus l'air de pétiller autant. C'est direct. Clair. Précis. Pas de perte de temps. Je me mets presque à paniquer, me dit que maintenant qu'il a eu ce qu'il voulait, moi je ne pourrais plus jamais l'avoir. Mais il a dit, il a dit que je lui devais quelque chose. Je ne comprends pas ; les questions elles reviennent, et si mon esprit il s'était mit sur pause l'espace de ce merveilleux moment, il est bel et bien de retour, avec l'impression d'être dix fois plus agité.

Après ce qu'on a partagé tout les deux ; je pensais au moins que je pourrais rester, visiter, en apprendre plus sur lui, sur Harry Styles. Je commence à me demander si c'est important, de son coté, tout ça, et la réponse semble hurler dans ma tête comme un appel à l'aide. Et les appels à l'aide, ce n'est jamais vraiment bon signe. Mon cœur s'emballe encore ; il ne tiendra pas toute la soirée ; trop de montées, trop de descentes.

Il écrase sa cigarette dans un cendrier à proximité de lui, posé sur la table basse ; moi je détourne le regard, m'empêche de regarder ses tatouages, ceux qui s'approchent de ses épaules, celles que je tenais, aux quelles je m'accrochais, il n'y a pas si longtemps de cela.

-Est-ce que je peux utiliser ta salle de bain une minute ?

Je change de sujet, essaye de gagner du temps, peut-être. Je ne veux juste pas partir, pas encore, c'est trop tôt. J'y suis, ne sais pas si je pourrais revenir, et j'en ai marre des regrets ; je veux les bouffer comme ils me bouffent. Ses sourcils se haussent à ma réponse totalement à coté de la plaque, il lâche un rire mais finit par hocher la tête vers l'escalier pour me monter que c'est bien par là. Je souris, oublie déjà sa remarque désobligeante, à la limite de l'humiliation. Mais l'humiliation je la connais bien, et je sais qu'il y a pire.

Je m'avance, monte les quelques marches, dévore ce qu'il se trouve autour de moi des yeux. C'est petit, les murs sont blancs, les meubles pas très nombreux, mais étrangement je m'y sens bien, mieux que dans ma propre maison. Mais ma maison c'est un autre sujet. Elle, elle a ses propres fantômes qui viennent me faire garder les yeux ouverts la nuit. Ici mes yeux se ferment, grâce à Harry. J'avance d'un pas décisif, ouvre la première porte qui se trouve à ma droite ; c'est juste qu'il y en a plusieurs, je ne peux deviner laquelle cache la salle de bain. Je souris doucement ; sa chambre. Son lit n'est pas fait, des vêtements traînent un peu partout, un miroir cassé se trouve posé au sol dans un coin de la pièce. Cela attire mon attention, la forme du poing qui a fait valser les bouts de verres, ceux éparpillés tout autour. Mais je pars quand même, laisse la porte entre-ouverte derrière moi sans y penser, comme un moyen d'inconsciemment lui faire penser à moi ; je suis passée par là.

Je trouve la salle de bain quelques secondes après, observe la grande douche italienne, l'imagine à l'intérieur malgré moi ; j'aurai bien aimé qu'on prennent une douche ensemble. Elle est spacieuse, illuminée, je pourrais m'y détendre facilement, et je dois me retenir pour ne pas me déshabiller et y aller. Nous la notre de douche, elle est lugubre, quasiment macabre, avec ses tâches noirs sur le vieux carrelage au mur, les trous au plafond, les toiles d'araignées tout en haut. Puis l'eau elle est froide, ici je suis sûre qu'elle est chaude. Ensuite elle est petite, ne peut comporter qu'un seul corps ; celui de mon père, assez conséquent, entre à peine. Je soupire un instant, me remémore pourquoi je suis là et je finis par faire glisser le pantalon le long de mes jambes, suivit de ma culotte, et tout les deux se retrouvent à mes pieds.

Je passe ma main sous l'eau, la passe ensuite sur mon centre encore chaud ; je me rince. J'hésite longuement à prendre une serviette, mais je me souviens de justesse de la politesse, du respect ; ce n'est pas à moi, alors je m'essuie avec du papier toilettes, me rhabille. Je regarde une dernière fois la pièce avant d'en sortir, un peu à contre cœur. Et je ne peux pas m'empêcher de me laisser un moment pour parcourir le couloir, passe mes doigts autour des clous, des punaises, ceux qui devaient tenir des photos et des cadres, autrefois. Tout au fond, je remarque même un bout de papier encore accroché, qui a tenu ; je me mets à m'imaginer Harry, tendu, muscles contractés, yeux noirs, arracher tout ce qui lui passe sous la main. Et j'aimerais bien me poser là, contre le mur d'en face, regarder, imaginer, peut-être même découvrir.

Son raclement de gorge rauque en bas me fait sursauter, et je souris un peu. Ouais c'est vrai, je suis chez lui. Je suis proche, ne l'ai jamais été autant. Cela tourne en rond dans ma tête, influence mon sourire bête, je l'avoue. Les sensations, les tremblements, les gémissements, sa voix, son souffle, sa langue. Je frissonne rien qu'en y repensant, me dit que je ferais mieux d'arrêter avant d'être obligée de refaire un tour dans la salle de bain. Malgré son raclement de gorge, celui qui doit sûrement signifier que je dois descendre, c'est l'heure ; on y reste pas éternellement au paradis, je continue mon chemin. Je m'apprête à pousser une autre porte fermée quand sa voix m'arrête.

-Sérieusement putain ? C'est pas ici, la salle de bain, Sun.

Il jette un coup d'oeil à la pièce en question, je suis son regard, et me maudit d'avoir mal fermé la porte. Elle s'est rentre-ouverte à cause d'un courant d'air, et pourquoi nom de dieu laisse-t-il toutes ses fenêtres ouvertes ?

-Mais tu le sais, apparemment.

Je grimace, essaye de me tourner un peu plus dos à lui que je ne le suis déjà pour ne pas avoir à affronter cela. Les mauvais souvenirs remplacent toujours les bons ; je refuse de remplacer son sourire par ses lèvres pincées, cette fois. Je finis par me tourner vers lui, la totalité du visage déjà en feu.

-Je voulais juste... j'en sais rien...

Il passe son doigt le long de son sourcil, son geste habituel qui ne présage rien de bon.

-C'est bien ça ton problème bordel. C'est clair que tu sais jamais rien Sun.

C'est un peu comme l'effet d'un coup de couteau, étrangement bien placé, au centre du cœur, là où ça saigne le plus. Cela me fait inspirer, un peu trop fort ; je cherche juste à respirer. Parce que c'est vrai il a raison Harry, je n'arrête pas de lui dire que je ne sais pas, mais je ne sais pas quoi répondre, je ne sais pas quoi dire, et surtout, surtout je ne comprends pas. Je ne sais pas pourquoi mon cœur et mon corps réagissent comme cela. Je ne sais pas pourquoi je suffoque. Je ne sais pas pourquoi j'explose. Ou plutôt j'implose. Je ne sais pas pourquoi j'arrive même plus à survivre, sans jamais avoir vécu.

J'inspire encore, encore, et encore ; l'air il manque, cela devient insupportable ; finalement il fait bien de laisser ouvert. Ma langue passe entre mes lèvres sans que j'y pense, se retrouve coincée entre mes dents. Et je me tais ; encore une fois je ne sais pas quoi dire, et c'est ridicule ; je suis ridicule.

-Mais moi je sais plus que toi. Je sais par exemple, que tu dois partir. Je t'ai déjà laissé dix minutes de trop.

Sa tasse de café est de nouveau dans sa main, remplie, a remplacée le thé. Ses yeux sombres me fixent, je résiste un moment, mais pas bien longtemps ; je finis par les baisser vers mes pieds, jouer avec mes mains.

-Dix minutes de trop ? J'arrive quand même à articuler. Tu pensais que j'allais partir directement après... cela ?
-Ouais.

Il boit une gorgée ; j'imagine sa pomme d'Adam bouger.

-Je ne suis pas ce genre de fille.

Je le vois rejeter lentement la tête en arrière, puis la faire rouler sur le coté, l'entends même craquer, comme exaspéré, et je me dis que cela tourne trop mal. C'est pas possible, il va tout gâcher. Finalement il attrape mon menton entre ses doigts, un peu trop fort, avant de me répondre :

-Je suis ce genre de mec, Thérésa.

Et mes genoux se mettent à trembler. Pourtant je le savais, que oui, c'est ce genre de garçon, Harry. Mais j'espérais, je crois, dans le fond. J'espérais que je serais différente, pas seulement comme je voudrais l'être, mais pour de vrai, et que ça il le verrait. Mais il ne voit rien du tout. Et l'espoir ça fait presque aussi mal qu'un cœur qui s'arrête, blessé, déchiré, brisé.

-Oui, bien sûr que tu l'es.

Je repousse sa main, contourne son corps, descends les escaliers, reprend mon sweat et mon sac.

-Il est tard de toute façon, tu devrais rentrer. Caroline va s'inquiéter, et tes parents pourraient appeler. J'suis sûr que c'est le genre à lancer un avis de recherche après cinq minutes de retard.

Je le devine, le sourire moqueur sur ses lèvres, quand il me parle en me suivant, boit entre deux, même si je ne le vois pas directement. Je roule des yeux.

-Je ne suis pas une enfant.

Et surtout, mes parents ils ne lanceraient pas d'avis de recherche du tout. Ils laisseraient couler, ils attendraient, impatients, les mains qui démangent, et à mon retour, je prendrais plus que ce que j'aurai loupé.

Mais Harry il s'en fiche pas mal de la vérité, il aime juste l'humour noir, les blagues qui n'amusent que lui, les surnoms ridicules, aussi.

-Tu l'es moins, après ça, j'avoue. Et attends la prochaine fois, tu verras.

Semi-avertissement, semi-promesse dans son sous-entendu pervers. Impatient mais pas trop. C'est un mélange d'excitation, d'énervement, et de quelque chose sans nom, qui s'abat sur moi, qui me fait me retourner, claquer mon sac au sol. La confiance c'est dangereux, peut-être que je m'étais autorisé à l'accepter, aujourd'hui ; un peu trop. Et j'aurai dû m'attendre, à la foudre. Elle est tombée, a frappé, violente et irrémédiable. Elle abat au sol, on peut plus se relever, entre poussière, boue et déchets. Le retour à l'enfer est encore plus agressif que la montée au paradis, on ne m'avait pas prévenue, mais j'aurai dû m'en douter, je le reconnais.

-La prochaine fois ? C'est quand, la prochaine fois ?

Sa main se faufile sur son torse, et je voudrais la sentir sa peau chaude alors qu'il se gratte le dessus du nombril.

-J'en sais trop rien, je te ferais signe.

Je fronce les sourcils ; lui m'imite.

-Donc cela sera quand toi tu veux ?

Mais après cette semaine, mes parents seront rentrés, la routine elle reprendra son cour, je me réhabituerais au vide. Alors fait vite, ne tarde pas, après je ne pourrais plus ; c'est ce que j'ai envie de rajouter, mais cela ne collerait pas avec l'expression énervée que j'essaie d'aborder. Je ne sais pas à quoi je joues, mais je suis déçue, c'est tout.

-C'était pas comme toi tu voulais, là ? Il me semble que t'as eu ce que tu cherchais, alors joue pas à ça.

Il n'a pas tord. Je suis venue, j'ai tapé, j'ai demandé, il m'a donné. Point barre. Alors pourquoi moi je pourrais, et lui non? « Parce que toi tu n'es pas libre » une voix me souffle dans ma tête, quelque part, et je l'écoute, mais je ne dis pas. Il ne comprendrait pas ; moi je ne veux pas en parler. J'ai honte, et c'est secret.

Je glisse mes mains dans la grande poche de mon sweat, vérifie que mon téléphone est toujours là ; il l'est, et replace une mèche de cheveux derrière mon oreille en acquiesçant. C'est idiot mais ça me rassure, mon téléphone.

-Mais tu dégages pour l'instant.
-Mais pourquoi ?
-Parce que t'es pas une exception à la règle. Il s'arrête un instant avant de reprendre, yeux rivés sur moi, peut-être qu'il a comprit qu'il avait touché là où ça fait mal. Mais ça veut pas dire que c'était pas cool.
-La règle ? Tu as des règles, toi ?

J'ignore le réchauffement de ma poitrine dû à la deuxième moitié de sa phrase.

-Sun, je t'en prie putain. Ouais j'en ai, je sais bien que t'es innocente mais abuse pas. Tu restes pas, personne ne reste ; c'est chez moi. Je t'ai laissé parce que t'es arrivé à l'improviste, faut dire que j'ai pas vraiment eu le choix, j'allais pas t'emmener dans la cave.

Son regard descend sur ma poitrine, mes hanches, mes jambes ; il sourit un peu plus.

-Même si ça aurait été vachement excitant, en y pensant.

Cela m'impressionne, la vitesse a laquelle varie son changement d'humeur. On ne le voit pas venir. Le seul indice, c'est le filtre noir qui s'abat devant ses pupilles. Malgré cela, je m'y plonge, dans le décor ; quelque chose se réveille dans mon bas ventre. Pourtant je sais que c'est tordu, comme idée. J'affirme avant qu'il n'ouvre encore la bouche :

-Je n'aurai pas aimé aller dans la cave, je t'assure.
-Me mens pas. Mais t'inquiète, on testera.

Il m'offre son plus beau sourire, ouvre la porte d'entrée et se décale sur le coté, signe clair que c'est l'heure, on entends les tics tacs de l'horloge, le temps il s'écoule, s'évapore. Je hausse un peu les épaules, ne répond ni par oui, ni par non, les deux me tentent, dans le fond. Je fais un pas vers la sortie ; il est terriblement énervant. Je crois l'être aussi, de toute façon. Alors je m'arrête, me retourne vers lui. Je ne sais pas quoi dire. Il a raison, je sais rien, et tout d'un coup, cela me met mal, je le sens chuter de trois étages, le siège de mes sentiments. Mais je ne peux pas lui dire, ne peux rien lui dire, cela serait confus, mélangé, comme c'est dans ma tête, une pelote de laine emmêlée. Et il dit tout le temps que je l'emmerde, que je dois le lâcher, jamais il ne sourit en me voyant, jamais il ne dit « cela fait plaisir de te revoir » comme le fait Gabriel.

Mais je n'arrive pas à me décrocher, ne sais même pas d'où cela vient, cette chose pour Harry. Cette fascination malsaine. Et si je ne sais pas pourquoi elle est là, je ne peux pas la faire partir. C'est comme ancré à l'intérieur, cachée, dissimulée. Comme exactement tout le reste.

Puis cela me frappe. Pleine vitesse. Pleine puissance. Jamais eu aussi mal. Surtout, jamais été aussi soulagée. Je suffoque, j'arrive plus à m'en sortir. Lui il peut m'aider, c'est forcément cela. Je le sais, je le vois, surtout j'y crois.

-Je ne peux pas partir.

Il se tend un peu, je vois ses doigts se resserrer autour du bois de la porte.

-Comment ça tu peux pas partir ?
-Tu comprends pas. Toi non plus tu comprends rien.

Les expressions de son visage passent du tout au tout, passent de la surprise, étonnement, mécontentent. Je ne peux pas lui en vouloir, je ne sais pas moi-même d'où me vient ce cran de parler, de ne pas m'enfuir en courant. C'est peut-être juste parce que c'est lui. Juste lui et moi.

-T'es sûre que tu peux pas partir Sun ? Je peux te faire partir, moi.

Il se penche vers moi, corps crispé dangereusement. J'aimerais bien rester là, mais je recule d'un pas quand même.

-T'arrêtes pas de me juger alors que tu vois même pas en toi-même ! Et t'as pas le droit de me juger Harry ! Plus personne n'a le droit ! Parce que le jugement au bout d'un moment il retentit, et là le verdict il tombe, et le mien ne pourra jamais être bon, je suis déjà condamnée, ne me pousse pas à y rester !

Je hausse légèrement la voix, ne le fait pas exprès, cligne des yeux pour faire disparaître les larmes. Il tressaille, pas de peur, pas de douleur, d'impatience, je crois. Son regard devient prévenant, celui qui dit silencieusement de faire attention ; j'ai le pied posé sur la limite, il faut que je recule, surtout pas que j'avance. Mais je me calme, n'aies pas le courage d'affronter la suite de l'orage. Il a son air dédaigneux, et je déteste cela.

-T'as raison je comprends rien, et personne peut comprendre ça putain parce que t'es une sacrée tarée.

Dans sa voix je perçois quelque chose de différent, mais je laisse aller, n'aies pas la force d'analyser. C'est sûrement pas important. Il veut juste que je parte.

Ma gorge se resserre douloureusement, mes mains elles se mettent à trembler. C'est pas vrai, je suis pas une folle, j'ai envie de dire, mais je n'y arrive pas. Il ne comprend pas, je savais qu'il ne comprendrait pas. J'aurai dû me taire, comme à chaque fois.

Et sans qu'on s'y attendre, ni l'un ni l'autre, une voix étrange, presque lointaine retentit avec force, claque contre les murs, fait presque éclater les vases, achève le dernier cadre.

-Mais moi je voulais juste que tu m'apprennes à vivre ! C'était tout ce que je demandais ! Tu l'as jamais vu, que je mourrais ?!

Son visage se détend ; plus de sourcils haussés, de rides sur le front. Juste de l'impassibilité qui tente de ne pas trahir l'incompréhension. Ça n'a aucun sens, et je me demande comment j'ai pu dire cela, quand je me rends compte que c'était ma propre voix, que je devais gardais ça dans le fond là-bas, loin, depuis un sacré bout de temps, alors que du coup cela a explosé ; cela le devait. Je jette tout de même un coup d'oeil autour de moi pour m'assurer qu'il n'y a personne d'autre, que c'est bien de ma personne dont il s'agit. C'est bien moi.
Je m'entends continuer, plus doucement, la voix cassée, à peine audible, épuisée :

-Apprends-moi à vivre, je t'en prie...


« Les maux du corps sont les mots de l'âme. Ainsi on ne doit pas chercher à guérir le corps sans chercher à guérir l'âme »




Holà les filles !
Bon ok, on avoue être impardonnable pour ce retard, mais on essaie d'écrire des chapitres qui nous plaisent avant tout, qui sont quand même relativement long et souvent le temps nous rattrape !
On espère quand même que ce chapitre vous plaira, et que vous nous en voulez pas trop pour ça :(
Gros bisous, on vous adore xx :D ♥ 

A des années lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant