A des années lumières

Chapitre 15


Point de vue Jek :

On roule. Depuis quelques minutes, déjà. On roule et on dit rien. Elle a pas l'air d'avoir envie de parler. Elle regarde dehors, mais on y distingue plus grand chose avec la nuit et le manque de lampadaires une fois éloignés des endroits fréquentés. Je la fixe de temps en temps ; du temps que je passe à me demander ce qu'elle fait là, et pourquoi elle n'est pas...Sun. J'ai failli pas m'arrêter quand je suis passé près d'elle. Je l'aurai pas reconnu, si elle m'avait pas fait
signe. Dans le fond je croyais juste que c'était une légère hallucination ; Casey sur le bord de la route pour me rappeler que je devais me dépêcher, qu'elle m'attendait patiemment, assise au bar. Mais c'était pas Casey. C'était Sun. Sun sans être Sun, et ça se voyait à des kilomètres. Elle a ouvert la bouche et l'a refermé plusieurs fois, mais elle a jamais rien dit. J'ai pas eu envie de la forcer. Mais m'appeler en pleine nuit pour que je vienne la chercher, ça méritait au moins une explication, même une petite. Elle m'a renvoyé un SMS après son coup de fil. Et sans trop savoir pourquoi, j'ai dû repasser à la maison piquer le démaquillant de Jelena. J'ai compris quand elle est montée dans ma voiture.

Maintenant elle frotte ses yeux aussi fort que possible pour enlever le maquillage, trop imprégné, sans doute, et jette lingette après lingette. Elle frotte sa bouche, aussi, soupire quand ça a du mal à partir, mais y parvient. Après quoi elle passe ses mains sur son visage, comme si elle se retrouvait enfin. Je ralentis un peu pour lui porter plus d'attention, sans me résigner à complètement m'arrêter sur le bord de la route ; ça serait trop bizarre et elle veut rentrer. Ses ongles grattent la peau de ses doigts, nerveusement, et quand ça devient trop, j'ai le reflex de glisser mes doigts entre les siens pour lui défaire ; ça lui fait tourner la tête vers moi.

-Tu vas me dire ce qu'il s'est passé ?

Elle prend une légère inspiration.

-C'est Harry.
-Harry ?

Je répète presque instantanément, les sourcils froncés de surprise.

-Oui. Il a... il était comme... pas lui même ce soir.

Je sais pas ce qu'elle entend par « pas lui même », parce qu'Harry on sait jamais très bien qui il est. C'est un trou noir, et vaut mieux pas trop se pencher pour voir. Harry c'est comme des kilomètres de forêt à devoir traverser avant d'être plongé dans le noir complet. C'est intense, mais surtout inaccessible, et en général on s'amuse pas à essayer d'y fourrer le nez. Sauf Sun. Mais Sun sait pas qu'elles sont les conséquences. Et je voudrais pas qu'elle se retrouve coincée entre une horde de démons. Dans le milieu, celui du métier dans lequel on est, lui, les autres, moi, j'ai jamais vu quelqu'un à qui ça correspondait aussi bien qu'à Harry. Je suppose que c'est pas un hasard, si c'est le patron.

-Il t'a fait du mal ?
-Non, il ne m'a pas fait de mal.
-Écoute Sun, tu fais ce que tu veux, c'est clair, et je sais pas ce que vous faites, Harry et toi, (elle a rougit mais j'ai décidé de faire comme si j'avais pas remarqué) mais je veux pas que t'aies d'ennuis.

Ses yeux restent posés sur moi. Un éclair de lumière lui illumine le visage quand on passe devant une maison en bord de route dont les lumières extérieures sont encore allumées. Mais y'a pas que ça ; y'a aussi quelque chose qui passe dans ses yeux. Elle se tourne vers moi, tire un peu sur la ceinture pour avoir plus de liberté, me faire complètement face.

-Parle moi de lui.

Je reste silencieux - pourtant c'est moi qui ai commencé la conversation.