Chapitre 13

200 18 40
                                    


Point de vue Jek :


Ce soir y'a le feu qui grésille, y'a les flammes qui dansent dans le baril. Le soleil il est bas ; bientôt il fera nuit ; ça nous dérange pas. On se réchauffe comme on peut, ça prend pas longtemps ; je dis on, parce qu'on est nombreux, à être là, les chaussures qui traînent au sol et qui tapent contre les cailloux, le cul appuyé contre le capot des bagnoles garées mais prêtes à démarrer. On peut pas s'empêcher de sourire, pourtant on est pas tous heureux ici, mais on sourit parce que si on sourit pas, on aura plus rien à faire, j'crois. J'ai chaud, dans la peau ; y'a l'ambiance dont je raffole. Les pupilles sont déjà dilatés, les rires euphoriques. Ils chavirent tous, moi avec, le souffle court, le regard fou : l'excitation. On s'amasse tous autour d'un seul et même point. Le point de départ. Là où y'a les trois coups de klaxonnes qui retentissent ; le début de la course. Le début de tout.

Je jette un regard autour, je regarde, mains dans les poches. Y'en a pas un ou une sans tatouages ou sans piercings, le sourire qui fait voir les dents en or, on est là en communauté, celle un peu rejetée, la communauté diffamée. On s'en tape. On est bien ici, à emmerder les lois, à danser, à penser qu'à ça. Je remarque ceux qui sont là pour essayer, ceux là pour gagner. En fait y'a pas grand chose à gagner, au final, seulement de la notoriété et une bouteille de whisky à vider sur qui tu voudras. Mais pour beaucoup y'a rien de mieux que ça ; la notoriété, entendre les gens dirent « C'est lui qui a gagné », se dire « ouais c'est moi », voir les regards se tourner vers soi, faire comme si ça touchait pas ; peu importe, mais non, au fond pas peu importe, au fond t'es là, tu te sens puissant, tu te sens bien ; t'es le roi.

Quand je suis arrivée avec Jelena, on a été rejoindre Harry. Y'avait Sun ; on a pas tous comprit. Je crois que même elle, elle comprenait pas. Elle était dans un état de psychose intense et de paranoïa. On a rit ; j'ai ris peut-être plus que les autres. On a eu le droit à des centaines de questions affolées du genre « Mais la police peut arriver à tout moment, non ? » « Elle est au courant ? » « Je crois avoir vu quelque part que les courses de voitures clandestines sont interdites ».

J'ai répondu en riant que c'était pour ça qu'on appelait ça des courses clandestines ; elle a un peu sourit de sa connerie puis plus rien dit. Harry ça l'agaçait, il lui disait « la ferme Sun » au moins trois fois par minute, la regardait l'air de dire « tu casses les couilles ». Mais dans son regard d'habitude si noir, y'avait un truc qui sonnait comme de différent ; pas beaucoup, juste un brin, un brin de moquerie ; ça m'a étonné. Je me suis demandé si elle s'était incrustée, si c'est Jelena qui l'avait inventé, ou Harry. Mais je m'y suis pas attardé ; ça pouvait pas être Harry. Il invite pas, personne, jamais. Que ça soit chez lui ou n'importe où. Harry se fait inviter, mais invite jamais. Sauf que c'est vrai qu'elle est marrante, Sun, pas banale, complètement à coté de la plaque. Je crois qu'on pourrait même pas compter les années qui nous sépare ; des années lumières. On est tous un peu loin les uns des autres, mais elle, elle y est encore plus.

Jelena, ici, elle est plus dans son élément que n'importe qui. Autant que moi. Avant ça l'était pas. C'est parfait ici, y'a tout : le danger la surprise, la peur ; l'incertitude. Tout. Y'en a plus d'une à qui ça foutrait la trouille, ça ferait pas dormir. Jelena c'est pas ça qui l'empêche de fermer les yeux, bien au contraire. Jey', c'est Jey, elle est faite comme ça ; de rouille, de fer, de c蘉ur qui palpite, elle changera pas. Sombre fille aux buts bien fixés.

-On embarque, mon capitaine ?

La casquette noire de Jelena (à la base la mienne) se retrouve posée sur mon crâne, une clope se glisse entre mes lèvres et ses bras autour de mon cou. Je sens son corps frêle se presser contre mon dos. Je souris quand elle pose le menton sur mon épaule, briquet à la main, qu'elle allume la cigarette pour moi. Y'a ses cheveux qui se viennent frôler ma propre nuque, je frissonne, je sais que ça lui plaît, je lui devine ce si beau sourire sur son visage. Celui de l'enfant gâté. Ses mains elles tremblent, trois ongles sur dix rongés, les autres recouverts d'un vernis lissé. C'est encore des indices laissés ici et là sur son corps, en plus des piqûres dans ses bras, pas bien nombreuses, moins qu'avant ; j'lui ai dis d'arrêter.

A des années lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant