Chapitre 2

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Point de vue Jelena



Je me redresse dans mon lit, celui dans lequel on a fini hier soir, lui et moi, un peu trop précipitamment, obsédés par nos gestes et nos baisers. Celui où on a passé la nuit, où je lui ai montré mon amour, où je lui ai exprimé, et où il m'a accepté. Je regarde un peu autour de moi avant de me lever complètement, et l'air froid vient brutalement taper contre ma peau entièrement nue et encore chaude de la nuit que j'ai passée. Je frissonne, mais ne m'habille pas pour autant, car j'aime la sensation. Comme deux mondes qui s'affrontent près de moi, la glace et le feu, la lumière et les ténèbres. Mes doigts fins passent brièvement dans mes cheveux emmêlés pour les dégager de mon visage et j'ouvre la porte de ma chambre, essayant de percevoir le moindre bruit, le moindre murmure, le moindre geste.

Je fais le tour de l'appartement pour vérifier quand même, mais rien. Je fronce que très légèrement les sourcils avant de sourire ; c'est pas grave, il est parti travailler, rien de grave, il ne tardera pas à revenir de toute façon. Je me glisse dans la salle de bain, m'amuse à marcher sur la pointe des pieds, suivre des lignes sur le sol qui n'existent pas, m'exclame de façon mauvaise quand je n'y arrive pas et que je perds le fil. Je finis par me stopper devant le miroir, y reste bloquer quelques instants, regarde ma peau, revoit ses mains parcourir mon corps fou d'envie, ressent ses lèvres s'écraser sur les miennes, dans mon cou, plus bas, plus bas, partout. Je souris. C'était bon, ça le sera toujours. Je baisse finalement les yeux vers le petit lavabo, attrape automatiquement la brosse à dents noire posée sur le rebord, celle qui n'est pas à moi, mais qu'il l'est d'une certaine façon.

Je la glisse dans ma bouche sans mettre de dentifrice ; ça gâcherait tout, et je ferme les yeux. Je savoure ce contact indirect de nos bouches, je l'imagine dans la sienne, et je la frotte plus fort contre ma langue. Je finis par me perdre dans mes pensées, dans un tourbillon d'envie incontrôlable de l'avoir contre moi, pour moi. Mais ça finit par piquer, et ma gencive se met à saigner parce que je frotte sans doute trop fort. Mais je m'en fous, je continue quand même jusqu'à ce que les poils de la brosse à dents se teintent légèrement de rouge, et la sors de ma bouche. Je la regarde longuement, cette brosse à dents, son joli manche noir, la couleur qui va si bien à celui qui la possède, noire ; la couleur de mon âme, celle qui nous unie, et le rouge, mon sang. Je passe mon doigt dessus puis contre mes lèvres. La repose, finalement. Parce que ça c'est qu'une toute petite chose que je peux obtenir de lui, aujourd'hui.

Je m'empresse brusquement d'attraper son parfum, en vaporise dans la pièce, sur moi, dans mes cheveux, partout, un peu trop. Mais ça embaume tout, et c'est comme s'il était là, l'idéal. Et si l'existence, mon existence même, avait une odeur, ça serait celle-ci. Je le repose, cours à la chambre, saute sur les planches du paquet en essayant de ne pas dépasser les limites, celles des lignes, tombe, m'écrase lourdement au pied du lit, mais rit. J'appuie mon nez contre les draps, ceux emplis de notre amour de cette nuit. Encore mieux, comme odeur. J'attrape la corbeille de linge, la retourne au sol pour avoir les tee-shirts du fond, ceux qui datent de plusieurs jours et qui ont gravés sa senteur. Celle que je veux sur moi pour toujours. Je l'enfile, je me plonge dans les draps sales, je veux le sentir, c'est irrémédiable, là, tout de suite, il faudrait qu'il rentre et qu'il vienne me posséder, parce que je veux qu'il soit là, en moi, de toutes les façons possibles et inimaginables, même les plus tordues.

Mes lèvres s'étirent un peu trop, creusent mes joues, un rire heureux et aigu sort de ma gorge. Je veux qu'il me regarde, de cette manière si captivante qui n'appartient qu'à lui. Celle qui me fait sentir importante, celle qui me fait m'aimer. C'est succulent, autant succulent que son corps aussi luxueux soit-il, de ses tatouages qui envahissent quasiment la totalité de son corps, qui colorent sa peau, des couleurs qui me font voyager partout, en Inde, à Rio, en Afrique, à Paris, à Londres, à New-York, à Hawaï. Mais la sonnerie de mon téléphone retentit et me fait revenir à la réalité, triste réalité où il n'est que dans mes pensées. Je m'empresse de l'attraper, frappe mes pouces dessus à toute vitesse pour le déverrouiller le plus vite possible, voir si c'est lui.

A des années lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant