Chapitre 7

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Point de vue Sun :


Valises au sol, je les regardes passer et repasser, toujours plus de bagages à la main. Ils s'en vont, comme moi j'aurai voulu m'en aller. Mais moi je n'y vais pas. Moi je reste ici. On n'est jamais partis en vacances. On a jamais été voir la mer, les vagues, sentir le vent dans les cheveux, le sable entre les orteils. On a jamais été vivre tout cela, jamais achetés de glaces, de babioles qui servent de souvenirs mais qu'on oublie aussitôt rentrés à la maison. Jamais choisis de maillot de bain, arpentés les digues entre les touristes. Jamais. Les pauvres ils ne font pas cela, dit maman, pourquoi vivrions nous mieux qu'eux ? Il faut faire preuve d'altruisme. L'altruisme j'ai rien contre, mais des fois cela m'ennuie ; je voudrais juste profiter de ce que j'ai. Si les pauvres avaient cette chance, je ne pense pas qu'ils s'en priveraient.

Mais je ne comprends jamais rien, je suis égoïste, c'est ce que Victoire dit. Et pour la première fois, ils s'en vont. Et sans moi. Mais au fond cela ne me désole pas tellement. Toute la famille y part, tout ceux qu'on voit aux regroupements pour les occasions spéciales, type anniversaires et tout ce qui s'en suit. Ils ont décidés de partir pour fêter quelque chose dont maman est particulièrement fière, et je pense que Papa ne l'est pas peu non plus : les huit ans de mariage de Victoire et Simon. « Ils savaient qu'ils étaient fait pour être ensemble, tu vois Lucie, on a le flair. » Papa répète en forçant sur les valises qui ne ferment pas, et maman tape dans ses mains, réjouit. Moi je reste assise sur le canapé, genoux croisés, mains jointes, j'attends patiemment d'être sans eux, enfin, rien qu'un peu, juste un avant goût d'une liberté que je n'aurai jamais, j'ai l'impression.

C'est une fois, quand je suis rentrée du lycée après être discrètement passée par la forêt, que j'ai surpris maman au téléphone. Elle n'arrêtait pas de passer des coups de fils, utilisait l'ordinateur du salon pour organiser un voyage. « C'est quoi ? » J'ai demandé en m'approchant. « J'organise un voyage pour la famille en l'honneur de ta sœur ». Et même si les mots « en l'honneur de ta soeur » m'ont un peu bloqués, j'ai sentie quelque chose se dénouer dans mon ventre. J'allais voir un bout du monde. Je m'en fichais pas mal duquel, je voulais juste voir, observer, noter les différences, prendre des tas de photos, les donner à Jelena pour qu'elle vienne les peindre sur les murs de ma chambre, parce que je n'en peux plus des fissures, du blanc. « Ah oui ? » J'ai dis la voix intéressée, cela se sentait que j'étais pressée, que j'étais prête à la pousser pour avoir l'accès à l'ordinateur, voir où est-ce qu'on allait. L'Italie, Florence ? Paris, la Tour Eiffel ? Les États-Unis, Washington, ou encore mieux, New-York ?

Mais « Tu ne viens pas avec nous, Sun » elle a décrétée avec une moue faussement désolée. Et je suis vite redescendue : l'excitation, la joie, c'est retombé brusquement, m'a fait mal. Je l'ai fixé. Et elle m'a dit qu'avec mon comportement de ces temps-ci, elle ne pouvait pas envisagé de m'emmener avec eux. J'ai failli lui dire pardon, lui dire que je ferais des efforts, et même si c'était avec eux, sur le coup je voulais partir, c'est tout. Mais elle a laissée échapper le nom de la destination dans sa tirade, et automatiquement je me suis tus, aies fait profil bas ; vas-y part, part sans moi, c'est tant mieux, je pensais tout bas. Lourdes, en France. Pas Paris, Lourdes. Pas les boutiques, pas les gens qui parlent autour, pas la vie, juste Dieu, Dieu et tout ce qui va avec. Une remise à zéro de la conscience. Pour eux c'est là-bas qu'on fête les mariages, c'est là-bas que tout se fête. Il n'y a que Dieu qui compte. Moi j'aurai bien aimé compter aussi, pour une fois.


Et comme toute la famille partait, maman ne pouvait pas me mettre en garde à vue chez un de mes oncles. Elle a même appelée Gabriel, a dit « C'est l'occasion de vous rapprocher et de voir si vous vous entendez au jour le jour, tu sais Sun, c'est important ». Plus important que ce que je voulais, apparemment. Et j'ai trouvé cela drôle, parce que ma mère c'est la dernière au monde à vivre au jour le jour. Elle planifie tout, c'est limite si elle organise pas déjà en avance son enterrement, pour être sûre que cela soit parfait. Mais Gabriel n'était pas libre, il lui a dit qu'il était désolé, mais qu'il avait beaucoup de boulot, qu'il n'aurait pas le temps de s'occuper de moi comme il voulait le faire. Qu'il le ferait une prochaine fois, qu'il m'embrassait et qu'il pensait à moi. Elle était déçue ma mère, cela se voyait. Elle a dit « bon tant pis, on va bien trouver quelqu'un pour te garder ».

Mais j'ai 18 ans, j'aurai très bien pu me garder toute seule. Elle comptait spécialement sur Gabriel, pensait sûrement pas qu'il y échapperait. L'autre soir, à cause des murs pas isolés, de leur chambre près de la mienne, je les ai entendues, avec mon père, en parler. Moi Gabriel je ne le connaissais que depuis quelques jours, eux beaucoup plus que cela, à ce que j'ai compris. Mon père je l'imaginais hocher la tête en affirmant que c'est ce qu'il me fallait, un mariage, avec personne d'autre que Gabriel. Celui qui a le nom d'un ange. Ils voulaient sans doute qu'ils repoussent les cornes qui me poussaient sur le crâne. C'est le fils d'une femme qui viens régulièrement aider ma mère à nettoyer l'église. L'église de notre ville, pour eux, elle est sacrée, et il faut en prendre soin.

A des années lumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant