Partie 19 - Aversion

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Une vague de frissons lui parcourut l'échine. Lui ? Un chasseur ? Un tueur ?

- Je ne peux pas, se contenta-t-il de répondre. Je ne suis pas un meurtrier.

Son père eut un petit rire amusé en s'enfonçant dans le fond de son fauteuil.

- Qui a dit qu'il s'agissait de meurtre, Al ? En quoi tuer une bête sauvage est-il un meurtre ? Je t'ai appris à chasser le gibier et tu n'as jamais rechigné. Quelle différence avec ces monstres ?

Même s'il croyait son père, Allan prit un air innocent.

- Existent-elles vraiment ? Je veux dire ... ce que tu m'as montré ne sont que des dessins...

Son père haussa les sourcils et enfuit à nouveau sa main dans le tiroir où se trouvait plus tôt le livre. Il en sortit une enveloppe clairement vieillie par le temps, aux coins abimés.

De la même manière qu'il lui avait tendu le bouquin, il lui envoya l'enveloppe et sans trop montrer son empressement, Allan y glissa la main pour en sortir des photographies. Son estomac se crispa. Sur la première, la même créature aux traits bien plus réels que sur le dessin. Autour d'elle, un sol jonché de corps sans vie et elle tenait fermement entre ses bras le corps raidi par la douleur d'un homme dans le cou duquel elle avait enfoncé ses crocs acérés. Allan s'empressa de passer à l'image suivante, espérant qu'elle soit plus supportable. Au contraire, il faillit en vomir. Le même genre de créature se tenait à cheval sur le corps d'une femme. Aucun cadavre autour d'elle, juste elle et sa victime. La créature avait une main levée prête à continuer l'action de la première main qui déchiquetait de ses griffes la poitrine du corps encore vivant à en voir l'expression de frayeur sur le visage de la femme. Malgré sa répulsion, Allan se vit passer à la troisième photographie. Cette fois, heureusement, aucun cadavre. La créature courrait tout simplement vers l'objectif avec la gueule grande ouverte sans doute dans un cri, exposant tous ses crocs, les yeux remplis d'une colère bouillonnante et toutes griffes dehors.

- Ça a été la dernière photographie de l'homme derrière l'appareil, dit son père lorsqu'Allan reposa les trois photos sur le bureau sans prendre la peine de les remettre dans l'enveloppe. Seul son appareil a été retrouvé et nous ne savons pas ce qui est advenu de lui. Sans doute a-t-il subi le même sort que tous les autres. Et ces images ne sont pas truquées. Seulement une petite partie de la population connait l'existence de ces monstres. Dans cette ville, nous sommes une petite dizaine. Je suis à la tête de tout ce petit monde. Et il est maintenant temps pour toi d'apprendre les ficelles du métier pour me succéder. Aussi bien en tant que chasseur qu'en tant que maire.

Allan le fixa, incrédule. D'un coup, des centaines de questions affluèrent à son esprit. Mais celle qui le brûlait le plus traversa ses lèvres.

- Et si je ne veux pas.

Son père parut surpris.

- N'as-tu pas vu tout ce que je viens de te montrer ? Ne veux-tu pas sauver le monde de ce fléau que sont ces monstres ?

- Là n'est pas la question mais je n'ai pas envie d'être maire. Tu sais bien que je ne suis pas fait pour ça.

Et puis même s'il ne savait s'il faisait partie de ces « monstres », il s'imaginait tuer Kira et ça, malgré tout le ressentiment qu'il avait pour elle, il s'en sentait incapable.

- Il ne faut aucune qualification pour occuper le poste que je fais. Je ne suis qu'une image pour la ville ici. J'ai en dessous de moi trois personnes qui travaillent en secret pour qu'il n'y ait aucune ombre au tableau.

Allan fronça les sourcils. Son père était-il en train de se rendre compte qu'il diminuait son image auprès de son fils ? Que tout ce qu'Allan pensait être vrai depuis qu'il était petit était en fait un immense mensonge ? Et puis, que lui cachait-il d'autre ?

- Maman est au courant ?

- Elle fait partie de ces personnes qui dorent mon image et évidemment qu'elle est au courant. Elle fait elle-même partie d'une famille d'anciens chasseurs. Mais elle ne pratique pas. Elle connait les ficelles du métier mais son rôle est avant tout de me seconder et de s'occuper de toi.

S'il n'était pas assis, Allan aurait bien pris un siège tant ses jambes tremblaient. Son père lui avait menti, maintenant sa mère. Qui d'autre ? Qui d'autre faisait en sorte que toute sa vie avait été un mensonge ?

Allan sentait une colère sourde monter en lui. Il profita qu'il était encore quelque peu maitre de ses émotions pour questionner son père.

- Pourquoi ne pas faire prendre au monde connaissance de ces créatures que les autorités s'en débarrasse ?

Son père le dévisagea comme s'il était un étranger doté d'un certain don pour les questions idiotes.

- Imagine-tu une seconde ce qu'une telle révélation pourrait créer dans le monde ? Ces créatures sont malignes. Des descendantes du diable en personne. Elles rallieraient bien trop d'humains à leur cause. Et ces humains ne valent pas mieux qu'elles. Cela créerait le chaos dans le monde, crois-moi. Travailler dans l'ombre est la meilleure chose que nous puissions faire pour éviter au maximum les dommages collatéraux.

- Et ces créatures ? Pourquoi ne se montrent-elles pas au monde ?

Josh sembla agacé, comme si la réponse coulait de source.

- Allan... Elles sont réfléchies... Jamais elles ne pourraient s'allier à assez d'humains que pour combattre la haine de tous les autres. Leurs ennemis seraient beaucoup trop nombreux. Et vu leur petit nombre, elles ne feraient pas long feu.

Il secoua alors la tête comme si ce chapitre sur les créatures l'ennuyait.

- Ce que nous devons faire, c'est profiter au maximum de l'instant présent, avec un maximum de stratégies.

Le regard qu'eut à cet instant Josh Vulkan paralysa Allan. Jamais il n'avait connu cette étincelle calculatrice et méprisante dans le regard de son père. Même lorsqu'il avait été au plus bas, traînait dans les rues, se droguait, son père avait toujours été bienveillant, comme s'il ne le jugeait pas et l'acceptait avec tout l'amour dont un père était capable. Mais l'homme qui se tenait devant Allan n'était pas celui qu'il pensait être. Un chasseur sanguinaire dominait l'image qu'Allan s'était faite de son père. 

La CréatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant