Une dernière admiration

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Kim Taehyung

Mes doigts parcourent lentement les couvertures des livres. Je sens leur odeur, qui s'imprègne au fond de ma mémoire et me fait sourire. La bibliothèque est pour moi une échappatoire. Même si je ne peux rien voir de tout cela, j'aime me l'imaginer. Ces moments sont un peu mes moments, je ressens mieux les sensations. Mon toucher est plus développé et je me plais à contempler les livres de cette grande bibliothèque à l'odeur si particulière qui me rappelle mon enfance de cette façon. Je ne vois rien et pourtant j'ai l'impression de tout voir. Je sens les reliures, les lettres incrustées sur les couvertures, les différences de taille de chaque livre. Je connais leur toucher par coeur et je sais tous les différencier. Mais cela ne me fait plus autant de bien qu'avant.

J'entends ma mère au loin m'appeler, une sonorité inquiète dans la voix. Même si, au fond d'elle, je sais qu'elle sait où je suis. Elle m'a souvent découverte ici depuis le chamboulement de ma vie, à découvrir mes livres préférés d'une autre façon que la vue. Alors je ne suis pas surpris d'entendre la porte grincer, signe que quelqu'un entre dans la bibliothèque.

« Tae, mon ange. Le repas est prêt. »

Sa voix douce me fait perdre le sourire que les livres m'ont donné. Je n'aime pas ma vie. Je me sens trop dépendant des autres. C'est donc sans grande conviction que je me dirige à l'aide du frôlement de mes doigts contre les étagères jusqu'à la voix de ma mère qui me dirige. Je sens ensuite sa main qui glisse de mon épaule à mon coude pour me guider plus facilement hors de mon petit coin de tranquillité.

Au loin, j'entends mes frères se chamailler la dernière part de tarte. Je les imagine en train de se tuer du regard et je me surprends à sourire un temps soit peu. Ma mère me guide toujours à travers les couloirs jusqu'à arriver à la salle à manger dans laquelle elle me laisse m'asseoir et diriger mes mains vers les couverts posés sur la table tout en me montrant l'emplacement de mon assiette. Elle me laisse ensuite prendre le relais comme un grand.

Mes deux frères se chamaillent toujours mais ma mère les fait taire en coupant la part en deux. Comment dire qu'ils sont déçus ? Je le sens jusque dans mes entrailles.

Je mange tranquillement, prenant toujours le temps de chercher ma nourriture du bout de mes couverts, essayant de ne pas me perdre dans mes gestes, trouvant mon verre d'eau quand l'envie se fait ressentir.

Je déteste ne voir que du noir brumeux, des ombres dansantes. J'ai beau ouvrir grand mes yeux, je ne vois rien d'autre qu'un vide rempli de cette même couleur brumeuse. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que je ne vais plus rien voir de ma vie. Que je ne vais plus voir les couleurs ni les formes, les lettres formant des mots puis des phrases, les contours de mes dessins et de mes toiles, les jolis yeux bridés de ma tendre mère, les minois de mes deux frères. Je ne verrai plus rien de tout cela, et je crois que c'est le plus dur.

Le repas terminé, ma mère débarrasse la table tandis que je me lève doucement. Je ne veux pas qu'elle se pense obligée de toujours m'accompagner où je veux aller, je n'aime pas la savoir aussi soucieuse pour moi, et je déteste le fait qu'elle se tue en pensant me rendre la vie plus facile. Je l'adore, elle est merveilleuse mais je ne veux pas imposer tout ceci à ma mère.

Je me dirige à la force de mes souvenirs et du toucher de mes phalanges dans le salon et, quand je touche enfin le canapé, je laisse échapper un petit soupir puis je contourne le meuble et m'affale dedans dans un souffle. Je cherche mes écouteurs sur la table basse, car je sais que ma mère me les laisse à découvert, toujours au même endroit. Puis je sors mon téléphone portable pour brancher ma musique. Je demande à l'ordinateur compact de mettre en route ma playlist grâce à la commande vocale. J'ai refusé que ma mère me change de portable. Je le connais assez par coeur pour savoir l'utiliser sans le voir. La douce musique se répend doucement dans mes oreilles et, dans un soupir de soulagement, je me permets quelques heures à ne penser à rien.

Un dernier regard | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant