Hating, Craving, Falling

Chapitre 10

Cela fait trois jours que la scène de Chloé en train de s'effondrer sur Adeline tourne en boucle dans ma tête. Je me souviens du temps que ça m'a pris de me rendre compte que ma bouche était grande ouverte. Je ne pouvais pas détacher mes yeux du spectacle aberrant qui se déroulait devant moi. Et Adeline avait l'air de trouver ça absolument normal.

Deux jours plus tôt, Chloé se faisait câliner par un mec faisant presque deux fois sa taille sur le parking de l'agence, et le samedi soir, ses lèvres se sont aventurées sur celles d'une meuf. Sa vie sentimentale semble aussi décousue que le coussin sur lequel mon chat fait ses griffes. Mais sur ce point-là, qui suis-je pour la juger ?

Je pensais qu'Adeline et Chloé ne se connaissaient pas, mais j'étais un peu naïve aussi. Je ne me soucie jamais assez de ce qu'il se passe autour de moi, surtout quand je suis en soirée en train de discuter avec une jolie fille. Jolie fille visiblement déjà prise par ma supérieure.

Sérieusement, quoi.

Adeline ne s'est pas longtemps laissée bécoter et a récupéré une Chloé chancelante dans ses bras.

– Tu es bourrée, ma belle. Je vais te ramener, lui avait-elle annoncé.

Chloé avait mollement protesté, mais elle ne semblait pas en mesure de se rebeller plus que ça. La perruque à paillettes qu'elle avait portée toute la soirée pendait lamentablement dans ses cheveux. La tonne de mascara qui couvrait ses yeux se déversait sur des cernes boursouflés et laissait de grosses traces noires sur ses joues trop maquillées. J'avais l'impression que son visage fondait.

La Chloé enjouée et rigolote qui défendait sa position de féministe quelques heures plus tôt était devenue une poupée de cire se décomposant devant un feu de cheminée. J'avais de la peine pour elle.

Et en même temps, je me disais que c'était un peu prévisible. Il fallait bien que son masque tombe, alourdi par tant de superficialité. Pourquoi ressent-elle ce besoin constant de s'affubler de toutes ces conneries ridicules quand ça ne semble même pas lui plaire ? Pourquoi ne se contente-t-elle pas, au quotidien, de se vêtir comme au travail et de garder la tête que la nature lui a donnée ? Ça me dépasse. Je ne lui avouerai sûrement jamais en face, mais je la trouve très belle au naturel. C'est vraiment dommage de gâcher un si joli visage avec des toutes ces couleurs qui ne lui vont pas. Mais encore une fois, je dois me rappeler qu'elle fait bien ce qu'elle veut, et que je ne devrais pas la juger pour ça.

Au bruit du papier froissé, je me rends compte que j'ai abîmé les photocopies que j'étais en train de tirer lors de mon escapade rêveuse. Je lève les yeux et croise ceux de Chloé qui fuient à peine. Cependant, je ne manque pas de percevoir ses joues légèrement s'empourprer. Elle hausse un sourcil vers la machine vieille comme Mathusalem, et j'entends d'ici la voix autoritaire qu'elle me sortirait si elle était face à moi. Je soupire et appuie sur le bouton pour lancer une nouvelle salve de copie.

En tout honnêteté, je commence presque à m'inquiéter pour ma référente, au vu de l'état dans lequel elle était durant toute la semaine qui précédait cette soirée. Adeline ne semblait pas spécialement surprise du comportement de Chloé, pourtant, jamais elle n'a été bourrée comme ça lors des quelques fêtes que j'ai pu partager avec elle. Pas que je ne me sois réellement préoccupée de son cas, ni qu'on ait souvent assisté aux mêmes événements, mais je pense que je l'aurais remarqué si elle faisait une habitude de ce genre de conduite.

C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

***

J'ai passé la semaine entière à l'observer en cachette. On ne s'est pas énormément croisées en dehors de l'épisode de la photocopieuse. Elle devait gérer pas mal de réunions et est resté deux jours à Lyon avec trois collègues référents pour la Journée des Métiers. Je me suis donc occupée de mon côté des dossiers qu'elle m'avait laissés, suivant une liste très précise de tâches à réaliser. Mais dès qu'elle était dans les parages, je ne pouvais m'empêcher de la zieuter.