Chapitre 17

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Je me sens stupide d'avoir cru que l'eau avait coulé sous les ponts. D'avoir pensé que les choses aient pu changer, que leur mentalité ait pu évoluer. Qu'ils auraient pu m'accueillir autrement qu'en vomissant leur haine à mon visage.

Je m'affaisse sur le bord de la fontaine, ma respiration encore saccadée. Derrière moi, le crissement des graviers me surprend.

– Charly ?

Mon cœur se met à battre frénétiquement. Je pourrais laisser couler ma peine et cracher mon venin sur mon frère. Je pourrais le blâmer pour sa décision et rejeter toute la faute sur lui. Mais ce n'est plus moi. Et ça ne me rendrait pas justice.

– J'ai essayé, Alex. Je ne peux pas continuer, c'est au-dessus de mes forces.

– Je sais, souffle-t-il en s'approchant de moi. Je suis désolé de t'avoir embarqué là-dedans, je pensais sincèrement que ça se passerait autrement.

Il pose son bras sur mes épaules et je me réfugie contre sa poitrine le temps d'une respiration, puis je m'écarte. C'est probablement l'effusion d'amour la plus expressive que nous ayons eue depuis notre enfance. Mais cette brève tendresse est efficace et me prodigue juste ce dont j'avais besoin pour me relever.

– Je t'appelle bientôt, dit-il en passant son pouce sur ma joue comme pour effacer une larme inexistante, avant de retourner à l'intérieur.

Le bip propre à l'ouverture d'une voiture me fait sursauter, et je vois Chloé qui fait un geste à Alex pour lui dire au revoir sur le palier de la maison. Elle s'approche de moi avec un sourire bienveillant, sans une once de pitié dans son regard, et j'aurais presque envie de l'embrasser pour ça. Lorsqu'elle arrive à mes côtés, elle pose délicatement sa main sur mon avant-bras, et hoche la tête en direction du véhicule.

– Allez, viens. On s'en va.

Le trajet du retour se déroule dans un silence tranquille, en apparence. Dans mon esprit, les pensées ne veulent pas s'arrêter. Toutes mes émotions y mettent du leur et j'ai la sensation que les responsables de la colère et du dégoût ont perdu tout contrôle tandis que les commandes de la joie ne fonctionnent plus.

– Il faut voir le côté positif des choses, le repas était très bon.

Je détache mes yeux du paysage défilant au travers de la vitre et secoue la tête.

– Laisse tomber, Chloé. Désolée, mais je n'ai vraiment pas envie de parler.

– Je comprends.

La station média de la voiture joue « Hurts Like Hell » de Fleurie, et je ne peux m'empêcher de remarquer que les paroles collent plutôt bien à la situation.

J'ai beau essayer d'analyser ce que je ressens, bien que je ne sois pas une experte dans ce domaine, je ne comprends pas pourquoi cela m'atteint autant. Pourquoi le fait que ce repas se soit transformé en un véritable fiasco est aussi douloureux ? Je n'avais aucune envie d'y aller en premier lieu, je savais que je ne devais rien attendre de cet événement. Pourtant, la réaction de mon père m'a fait l'effet d'une douche froide un jour d'hiver polaire.

J'avais décidé de mettre de côté toute ma rancune et je me suis pris un revers de médaille sacrément douloureux. Si j'y réfléchis vraiment, ce n'est pas lui qui a retourné le couteau dans la plaie, c'est moi. Je me suis infligé ça toute seule – et à Chloé aussi, accessoirement. J'ai choisi de faire table rase du passé et mettre en avant la présence des personnes que j'aime. Mais je me rends compte que je n'ai même pas réussi à profiter de ma cousine et de son nouveau bébé, avec qui j'ai échangé à peine quelques mots. Et puis, honnêtement, est-ce que j'espérais réellement débarquer là-bas comme une fleur après neuf ans d'absence ? Neuf ans de silence radio pendant lesquels j'ai presque coupé les ponts avec tout le monde à part mon frère, qui s'est battu pour que je reste dans sa vie ?

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant