Chapitre 7

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La semaine qui a suivi ma petite escapade avec Antoine ne fut pas des plus joyeuses. En effet, ma mère changeait d'humeur toutes les heures ; un coup elle nous crie dessus et nous appelle par nos couleurs de cheveux, la fois d'après elle est en larmes dans le canapé en disant que son bébé va passer sur le billard, puis elle redevient joyeuse et lance un jeu de société.

Nous avons quand même eu de bons fous-rire. Quand on est allés faire un tour dans la ville d'à côté et que mes sœurs ont vu le tag, elles n'ont rien trouvé à faire de plus intelligent que de crier :

"Bér' ! Antoine ! C'est vous avec le truc baveux !"

Micka s'était retourné, suivi de ma mère et Isaac, puis de tout le reste de la famille se trouvant dans le petit van bleu.

Accompagnée par mes parents, j'entrai par la grande porte vitrée de l'hôpital. Je m'étais habituée au décor : murs peint en bleu, sol en lino blanc et meubles en bois clair. Au fond, c'était pas si moche, juste un peu vide. Une femme nous invita à nous asseoir lorsque nous demandions à voir mon médecin. Je faisais jouer nerveusement mes ongles contre l'accoudoir vernis, mon père tapait du pied et ma mère soupirait d'exaspération. C'est au bout d'une dizaine de minutes qu'une infirmière vint me chercher, laissant seuls mes parents inquiets.

On me conduisit dans une chambre classique, bleue aux mêmes meubles vernis que les autres. Mon médecin arriva, le port de tête fier et le crâne toujours aussi... Réfléchissant. S'en suivit alors un dialogue des plus ennuyeux, dans lequel il m'informa des enjeux de l'opération, de la façon dont elle allait se dérouler et du traitement qui la suivait. Tout le long de son monologue, l'infirmière dardait sur nous un regard froid et indifférent, que je ne prit pas la peine de retourner, trop stressée de la suite des événements.

M. Gorgo sortit finalement de la pièce et je troquais mes vêtements pour l'habit classique d'hôpital, la grande tunique informe blanche.
Mes parents arrivèrent vingt bonnes minutes plus tard et ma mère se jeta sur moi comme si c'était la dernière fois qu'on se voyait.

«Calmes toi maman. Deux jours, on se revoit dans deux jours. Ok ? tentai-je.
– Mon petit bébé... Hier à peine t'étais toute petite...»

Je soupirai, à la fois exaspérée et triste de voir ma mère dans un état pareil. Mon père me serrait aussi dans ses bras, dans un silence agréable.

Lorsque je me retrouvais enfin seule, il état près de neuf heures et demi du soir et j'étais épuisée. Malgré tout, l'angoisse prenait le dessus et je ne parvint pas à m'endormir. Je saisis mon téléphone et commençai à discuter avec mes petites sœurs et mon cousin mais rapidement, une idée me vint. Je me levai silencieusement et passai une tête dans le couloir. Une infirmière était au bout à gauche et un gardien à l'opposé. Le plus discrètement possible, je sortis de ma chambre pour aller toquer à celle d'à côté, afin de découvrir mes voisins.

La première chambre était occupée par une vieille femme sourde comme un pot, la seconde par un petit garçon d'environ dix ans qui décida de m'accompagner chercher d'autres camarades pour une petite... course. Au bout d'une dizaine de minutes et de plusieurs réprimandes des infirmières, nous fûmes trois : Jules, le blondinet, Norbert, un homme d'une trentaine d'années, lui non plus pas gâté niveau prénom, et moi.

Le plan était simple : nous allions chercher nos lits roulants et nous courions dans le couloir est, le plus large. Nous misions sur la surprise des employés de garde, pour qu'ils n'aient pas le temps de réagir et de nous rattraper.

Nous courions dans les couloirs sous les yeux des gardiens éberlués. Le cliquetis des barreaux de lit résonnait, se joignant à nos rires nerveux.
Après quelques minutes, nous arrivâmes à "la grande descente". C'était une longue pente, assez large, de béton. C'était la sortie des fauteuils roulants, celle qui donnait accès au petit jardin. Elle faisait environ dix mètres, ce qui était court mais juste assez pour nous donner l'élan qu'il nous fallait.
Nous échangeâmes un dernier regard avant de grimper sur nos fins matelas. Nous nous élançâmes dans l'allée, le vent frais et hivernal nous fouettait le visage et mes cheveux voletaient dans mon dos. Cette sensation de liberté était grisante. Pendant le cours laps de temps de répit que me procurait cette course, j'oubliais mon opération. J'oubliais ma maladie. Et mes compagnons semblaient dans le même état que moi. J'avais appris plus tôt que Norbert s'était fait renverser il y a quelques jours, et en avait gardé un bras et une cheville cassés. Jules, lui, avait fait une mauvaise chute en cours d'escalade et, en plus d'avoir perdu connaissance, il s'était fracturé le bras. Je leur avait aussi fait part de mes problèmes médicaux et nous nous sommes arrêtés là dans les confessions, le temps pressait.

Malheureusement, nous fûmes interceptés rapidement et ramenés dans nos chambres. Le pauvre Norbert a pris encore quelques jour cloué au lit à cause de sa cheville trop sollicitée ce soir.

"- Je dois dire que je suis plutôt surpris de votre initiative mademoiselle, commença M. Gorgo, brisant le silence.

- Hmm, répondis-je sans réellement écouter.

- Je n'avais jamais vu ça, des patients qui font une course avec leurs lits d'hôpital... J'aurais presque envie de vous applaudir."

Je n'écoutait que d'une oreille. La journée qui s'annonçait me stressait énormément. Mon médecin continua son monologue pendant encore quelques minutes avant de me laisser retourner dans ma chambre. En sortant de son bureau, je saluai le petit Jules qui attendait son tour.

Environ trois heures plus tard, une infirmière vint me préparer pour l'opération. Je me sentais mal, à vrai dire, j'étais terrorisée. J'allais me faire enlever une tumeur du pancréas et rien que cette opération pourrais me coûter la vie. Je pourrais ne pas me réveiller après l'anesthésie. L'opération pourrais ne pas fonctionner. Je pourrais ne pas avoir le temps de profiter la chimio. Je n'ai pas envie de blesser mes proches. Je n'ai jamais voulu être malade, je n'ai jamais voulu passer sur le billard, je n'ai jamais voulu subir cette merde ni cacher cette peur qui me rongeait de l'intérieur à mes proches pour ne pas les inquiéter.

Pendant toutes ces semaines, j'ai dû enfouir cette panique et cette peur de la mort. L'idée de perdre quelqu'un qui compte à mes yeux m'a toujours effrayée, alors savoir que c'est ce que je vais faire subir à ma famille et les amis, ça me détruit.

Un homme, sûrement en fin de trentaine, approcha le masque de mon visage en me disant doucement que tout se passera bien et que je ne dois pas paniquer si je me réveille dans un salle inconnue. Je sentis l'anesthésie faire peu à peu effet et ma dernière pensée fût pour Lee Roy, en espérant que je pourrais encore caresser le dessus de sa tête. 

Bérengère rime avec CancerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant