Chapitre 10

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Une longue nuit de sommeil n'était décidément pas au programme. Entre deux nausées, j'eus beaucoup de mal à me reposer, alors m'endormir était devenu mission impossible. Cependant, par je-ne-sais quel miracle, je me suis réveillée vers neuf heures. C'est Lee Roy qui m'a fait lever, à cause de ses léchouilles sur le nez. Note à part, il va falloir qu'on l'éduque un peu celui là.

Cependant, je me suis réveillée plutôt tard et j'étais l'une des dernières debout. En descendant les escaliers, je surpris mon cousin, mon frère et Antoinette discuter à voix basse. Comme la discrétion ne fait pas partie de leurs habitudes, je voulus écouter leur conversation. Malheureusement, les défauts sont de famille : penchée sur la rampe laquée, je me mis à glisser lentement finis par pousser un petit cri avant de me rattraper de justesse. Suite au bruit, les trois têtes se tournèrent comme un seul homme vers moi et mon père accourut pour savoir si tout le monde allait bien.

Je tentais de retrouver ma dignité en replaçant correctement le bonnet que je met tous les matins tandis que les trois apprentis agent-secret ré-engageaient une discussion, ni vu ni connu.

Je descendis donc me préparer un petit déjeuner mais, à ma grande surprise, la table était déjà mise. Toasts, pancakes et différentes pâtes à tartiner trônaient à côté des briques de lait sur notre nappe rouge.

Suspicieuse, je lançais un regard inquisiteur par dessus mon épaule. Les garçons me regardaient, sourire jusqu'aux oreilles tandis que mon père s'émerveillait devant le déjeuner royal qui était servi.

Nous nous installâmes et commençâmes à manger sans attendre le reste de la maisonnée. Personnes qui furent rapidement réveillées par le chien qui aboyait devant la porte.

"– Évidemment, c'est moi qui m'y colle, soupirais-je en enfilant une veste et des chaussures.
– T'as pas imaginé une seconde que j'allais aller promener ton truc", s'indigna ma cadette.

Non, évidemment. D'humeur exécrable, je sortis en gromellant.

Je me baladais dans les rues, le gazon encore humide de la rosée matinale. Lee Roy tirait sur sa laisse pour me faire comprendre qu'il aimerait gambader un peu, lui aussi. Arrivés à la petite plaine qui nous servait de parc, je lâchais la bête et me posais sur un banc. Heureux comme tout, le beagle courut le plus vite possible et me ramena assez vite de quoi jouer. Un caillou cette fois ci. Je lui ôtais de la gueule et tentais de le jeter le plus loin possible. Malheureusement, le cancer et le traitement m'avaient considérablement affaiblie, si bien que la petite pierre ne dépassa pas les cinq mètres.

"– Déjà que de base j'ai une force de moustique mais là... Pestais-je.
Tu me comprends toi ? Nan, tu me comprends pas. Tes petits yeux de chiot me demandent de lancer plus loin. Tu comprends pas. Moi même je comprends pas. Je comprends pas comment, ni pourquoi. Hein ? Comment j'ai pu, jeune femme en bonne santé, choper un putain de cancer du pancréas ? Hein ? Étrange, qu'il disait, vous êtes un cas plutôt exceptionnel mademoiselle. Super, j'suis ravie. Vraiment, la belle vie quoi," ironisais-je.

Mon chien me regardait faire mon monologue d'un air perdu.

J'aperçus un vieux monsieur me fixait bizarrement, libérant lui aussi son roquet de ses chaînes. Le petit bichon fonça vers mon chien, qui eu peur de cette tornade blanche accourant vers lui. Un petit jappement s'échappa de sa bouche quand le nouvel arrivant voulu ''faire connaissance''. Petit à petit, il se détendit et commença à chahuter avec le petit chien blanc.

Cette scène me toucha. Impossible de savoir pourquoi, si cela venait de mon chiot apeuré, du petit bichon qui cherchait quand même sa compagnie ou simplement de moi, qui étais très à fleur de peau ces temps ci.

À mon retour, tout le monde était debout et riait bêtement. Il se passait quelque chose, c'était certain. Fatiguée, je ne cherchais pas la raison de cette joie collective et montais prendre un bain chaud.

Je fermai à clé la salle de bain et laissai couler l'eau afin qu'elle se réchauffe doucement. Enlevant lentement chaque couche de vêtement qui me couvrait, je pris le temps de m'observer dans le miroir. Ma peau avait terni, mes cheveux étaient tombés, ma silhouette avait maigri. Seuls mes yeux n'avaient pas changé. On y trouvait toujours cette lueur combattante, cachée parmi toutes leurs nuances sépia.

Je me glissai lentement sous l'eau et fermai le robinet. Pas d'huiles, de sels ou de mousse. Juste un grand bain d'eau chaude sans artifices. Pas de musique non plus ; mais le silence ne pointait pas le bout de son nez pour autant. J'entendais ma famille discuter à travers les murs de la maison. Ça faisait comme un bruit de fond, pas un brouhaha ni un silence complet, seulement quelques discussions occupant l'espace.

Mes muscles se détendirent et je fermai les yeux. Pendant vingt bonnes minutes, je trempais dans ma baignoire, m'enfonçant dans l'eau jusqu'au nez de temps à autre.

J'attrapai mon peignoir en m'extirpant du bain et me blottis dans le tissu éponge tout chaud. Je séchai ma tête en premier, puis je frictionnai le reste de mon corps de la même façon.

Je jetai un coup d'oeil sur le calendrier des pompiers accroché au mur de la salle de bain. Mardi. Un mardi en pleines vacances scolaires. Il était temps d'avancer.

Une fois dans ma chambre, j'appelai ma mère, qui était juste à côté. 

"– Ça fait longtemps qu'on s'est pas fait une séance shopping toutes les deux.
– C'est vrai ma chérie, tu veux faire ça cette après midi ? Je demande à tes sœurs de nous accompagner ?
– Non, juste toi et moi.
– J'en connais une qui a besoin de sa maman d'amour, rigola-t-elle.
– Voui", répondis-je, avec une moue enfantine.

Nous discutâmes pendant que je m'habillais puis nous rejoignâmes les autres dans le salon.

Bizarrement, ils étaient tous assis autour de la table basse, encore en train de comploter. Ma mère pouffa et je m'avançai le plus discrètement possible vers les autres. J'eus à peine le temps de voir des papiers que tous se retournèrent et mon frère s'assit sur la table pour cacher ce qu'il s'y trouvait.

"– Ma p'tite sœur chérie, commença-t-il, et je vis les autres tiquer au surnom, comment ça va ?
– Tu poses réellement la question ou t'as un truc à dire ? Demandai-je tout en connaissant la réponse.
– Roh et puis c'est bon, on est nuls en surprises, s'exclama Tête d'Anchois en poussant Isaac.
– Tadaaam !"

Ils me tendaient des billets de train pour Paris. Je revérifiai la date sur mon téléphone et me souvins d'un détail : la GayPride était dans une semaine. 

Bérengère rime avec CancerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant