Habillé tout en noir, je me mouvais aux côté de Bergie sur le bord de la route. Nous riions pour n'importe quoi : un cri d'oiseau un peu rauque, l'un qui trébuche sur une branche alors que l'autre s'esclaffait comme une baleine... Baleine rousse, baleine grande, baleine blanche... Bérengère, en somme.
En la regardant, je remarquai que son cancer ne se voyait pas tant que ça. Certes, elle avait maigri mais elle n'a jamais été très ronde, ou même muclée. Ses cheveux avait légèrement terni mais la coloration arrangeait les choses. Ses yeux gardaient toujours cette petite lueur qui lui était propre, celle qui précédait une connerie énorme. Car elle avait toujours fait des conneries.
Petite, elle avait une figure d'ange dont elle se servait, bien évidemment. Je me souviens d'une fois où nous étions chez elle (et sa famille) et qu'on devait aller chercher le pain. Nous devions avoir dix ans et c'était le truc préféré de sa famille d'envoyer les enfants acheter les baguettes. Nous étions donc arrivés devant la boulangerie, mais lorsque nous devions payer, ma cousine avait sorti trois billets de Monoploly et fait un clin d'œil au vieux boulanger avant de partir. J'étais resté planté sur place quelques secondes avant de partir en courant du magasin, de peur de me faire attraper.
« Eh, Tête d'Anchois, tu m'écoutes ou quoi ? m'interpella-t-elle.
- Tu veux une réponse franche ?
- Non, c'est bon.
- À question idiote, réponse idiote, répliquai-je. Tu disais quoi ?
- Je te demandais à quoi tu pensais.
- Au jour où tu as payé le pain avec des billets de Monopoly.
- Ah oui, je me souviens. La tête que le gars avait fait... et toi qui restait au milieu sans bouger ! » s'esclaffa-t-elle.
Nous repartîmes dans un éclat de rire.
Nous arrivâmes à l'endroit prévu vers minuit. Un grand immeuble blanc s'élevait devant nous. À la lumière des lampadaires, on pouvait apercevoir quelques graffs basiques mais la place que nous voulions était toujours vide. Je posais le sac et sortais les bombes de peinture pendant que Bérengère s'attachait les cheveux. Je m'emparai d'une bombe blanche et elle d'une beige, et nous commençâmes à taguer le bâtiment.
Nous faisions des stages de graff quand nous étions ados, pendant les vacances, et on peut dire que le coup de main ne se perd pas facilement.
Une fois colorée, coutourée de noir et agrémentée de quelques touches de lumière, notre œuvre était finie.
Elle nous représentait, Bergie et moi, en style caricatural. À gauche, on pouvait voir ma cousine, les cheveux détachés, tenant un petit Lee Roy tout baveux dans ses bras. Les proportions avaient été exagérées mais on la reconnaissait bien : deux grands yeux marrons, des sourcils fins, une chevelure indisciplinée et un immense sourire sur le visage. Le chiot aussi avait été bien réalisé, ses petits signes distinctifs bien reconnaissables.
À côté d'eux, c'est moi qui avait été tagué : toujours démesuré mais tout de même moi. Mes nouveaux cheveux bleus assortis à mes yeux, mon incontournable gros sweat-shirt bordeaux et un mignon petit bouquet de fleurs jaunes dans la main.
Je m'étais occupé de la faire, et elle de me représenter, et je savais très bien pourquoi elle avait mis ce bouquet. Quand j'étais petit, j'avais voulu faire plaisir à ma mère le jour de son anniversaire et j'avais décidé de lui offrir un bouquet. Un ensemble de roses jaunes que j'avais vu en étalage extérieur chez le fleuriste. Un bouquet de roses jaunes que j'avais fini par voler parce que je n'avais pas de quoi payer. L'anecdote avait fait le tour de la famille et même si « voler c'est mal », tout le monde avait trouvé ça mignon.
Nous reculâmes pour pouvoir admirer notre travail accompli. Fier de nous, nous nous tapâmes deux fois dans la main puis unîmes nos index. C'était un peu le signe de la famille, nous le faisions tous depuis qu'on était petits.
Un tag de cette taille ayant pris beaucoup de temps et le trajet étant long, nous rentrâmes vers cinq heures et demi. Malheureusement pour nous, quelqu'un était debout. Bérengère enleva silencieusement ses chaussures, ses yeux m'intimant de l'imiter. Mais une fois de plus, je ne bougeais pas. Si c'était ma mère ou la sienne, on était foutus, alors mieux valait ne pas faire de bruit. Alors qu'elle commençait à s'énerver, la personne se rapprocha et alluma la lumière de l'entrée. Je me figeais et la rousse fit de même, ce qui eu pour effet de faire éclater de rire la femme qui se trouvait en face de nous.
« Bordel Valérie qu'est-ce-que tu fous debout à cette heure ? Tu nous as fait peur ! chuchotai-je, soulagé.
- La question est d'où venez vous ? répliqua-t-elle, un sourire au bord des lèvres. Et habillés comme si vous veniez de faire un casse, qui plus est.
- C'est pas ton problème, asséna Bérengère en tirant la langue. Allez, au dodo ! »
Rassurée, elle disparut à l'étage sans faire de bruit. La blonde se tourna vers moi.
« Sérieusement, vous foutiez quoi dehors ?
- Classé Top Secret par Caporale Bergie, désolé. »
Sans rien ajouter de peur de tout déballer, je tournai les talons et partis en direction de ma chambre, ma cousine soupirant derrière moi.
Le lendemain, je rayais de la Liste « - Taguer un immeuble ou un bord d'autoroute (ou les deux) », puis fus questionné du regard par Valérie, toujours en quête de réponse sur notre escapade nocturne. Elle me prit finalement à part lorsque j'allais promener le chien.
« Quoi que vous ayez fait, faites attention, lâcha-t-elle. Tu sais qu'elle est malade, elle le sait aussi. Tu sais qu'elle doit se faire opérer d'ici une semaine, elle aussi. C'est pas le moment de la pousser à bout, tu comprends ? Je sais que c'est pas de ta faute et je ne t'accuse pas mais tu sais à quel point Bérengère souhaite ne pas nous montrer ses faiblesses, alors fais attention à elle. Elle serait prête à faire n'importe quoi pour nous rassurer... Manquerait plus qu'elle saute en parachute ! » termina-t-elle.
J'avais acquiescé tout le long, mais j'ai eu du mal à rester de marbre devant sa dernière phrase. Si elle savait...
- Taguer un immeuble ou un bord d'autoroute (ou les deux) : Check !
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Bérengère rime avec Cancer
HumorÀ seulement vingt-six ans, Bérengère est atteinte d'un cancer incurable. Cependant, elle ne se laisse pas abattre et décide, avec l'aide de certains membres de sa famille, de réaliser une liste des plus extraordinaires. " T'as décidé de ce que tu va...