Chapitre 3

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Avec précaution, je monte les marches menant à l'étage en prenant soin d'éviter le trou qu'a laissé celle qui manque.

Depuis le palier, je vois un établi jonché d'outils en tout genre, de plans et de matériaux. Un lit vétuste et défait occupe le peu de place qu'il reste, dans un coin au fond.

Je ne vois qu'une demi seconde après le balai qui tombe droit sur moi. Réagissant au quart de tour, je l'évite de justesse. L'objet pend au plafond par une corde, comme laissé là en lévitation.

Cette fille cherche t-elle à me tuer ?

- Tu as de bons réflexes, tu repères les erreurs d'attribution... Tu es surdoué, pas vrai ?

- Apparemment. Disons que je... ou plutôt nous sommes différents, répons-je en jaugeant de la qualité des plans derrière elle.

- Au fait, mon nom est Elys. Je vis ici depuis que je suis née.

J'interprète cette phrase comme une marque de confiance et décide de m'approcher.

Un sourire illumine son visage. Je contemple les plans : ils représentent tous des armes. Des prototypes en bois s'entassent dans un coin, vraisemblablement ratés.

Je repère au premier coup d'œil quelques défauts, mais je les trouve ingénieux.

Seul un dessin est accroché au mur : c'est une machine volante représentée en quelques coups de crayons ; Une rature au crayon orne le coin gauche de la feuille. Le visage d'Elys s'assombrit.

- C'est un des plans qu'avait croqué mon père avant de mourir. Je ne suis jamais arrivée à le finir.

- Je... suis désolé, je souffle, cherchant mes mots.

Je me penche pour regarder de plus près. La signature était presque illisible, mais je peux distinguer les lettres du nom « Baxter ».

Tous mes soupçons laissent place à des certitudes.

Tandis que j'examine les plans, je remarque du coin de l'œil qu'elle ôte une larme de sa joue avant de fouiller dans un vieux coffre.

- C'est tout ce qui me reste d'eux. Quand le monstre est parti..

- alors, c'est vrai?

- Je l'ai vu, et au lieu de secourir mes parents...

Elys se laisse tomber par terre en pleurant.

Tout à coup, elle se ressaisit, relève la tête et déclare :

- Maintenant, mon unique motivation est de tuer ce monstre.

J'ai beau trouver ça complètement idiot, je reconnais la détermination quand je la croise. C'est aussi insensé qu'un surdoué entrant dans une maison hantée.

Je ne connais pas la définition exacte du mot « affection », mais je crois que prendre quelqu'un dans ses bras en est synonyme. Alors c'est ce que je fais.

- Je vais t'aider, lui dis-je.

- C'est vrai ?

Elle me regarde droit dans les yeux pour y chercher une once de mensonge, mais il n'y en a pas.

Je réalise soudain que je ne suis pas censé être ici.

- Quelle heure est-il ? Crie-je, paniqué.

- Il y a une clepsydre en bas, dans la cuisine. Ce n'est pas précis, mais vas quand même voir.

Dévalant les escaliers quatre à quatre, je cherche des yeux le sablier à eau.

Le bruit des gouttes d'eau tombant toutes les secondes m'aide à repérer l'objet.

18h30 !

- Elys, je suis désolé mais il va falloir que je parte.

- Tu as une famille, n'est-ce pas ? demande t-elle avec un sourire ému.

- Euh... oui. Je reviens demain ! fais-je, gêné.

Avec un mince sourire, elle me regarde partir. Je me rue sur le portail dans le but de l'escalader, mais je remarque un détail.

Sur un pan du grillage qui entoure la propriété, un trou d'un mètre de haut permet de passer aisément de l'autre côté. Non seulement on ne le voit pas depuis la route, mais il est en plus caché par les hautes herbes.

Me faufilant par le trou, j'éprouve soudain le sentiment que ma vie prend enfin un sens. Comme quand ma mère a rencontré mon père (enfin, c'est elle qui le dit).

Le secret du manoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant