Chapitre 8

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Chapitre 8

Quand je rentre chez moi, ma mère m'attend dans la cuisine, occupée à préparer le diner. Je pose mon sac dans l'entrée et quitte mes chaussures, guettant son regard, mais elle ne dit rien. Je me faufile dans ma chambre sans un bruit, espérant qu'elle ne me fasse aucune remarque; je la sens bizarrement tendue.

Je me mets à mes devoirs avec une impression étrange au ventre, comme un mauvais pressentiment qui ne tarde pas à se confirmer. J'entends par ma porte entrouverte la porte d'entrée qui s'ouvre, et la voix de mon père:

- Je ne pense pas qu'il serait mieux là-bas.

- Mais c'est une école spécialisée! Tommy sera avec des enfants de son âge et qui sont comme lui.

Je dresse l'oreille, inquiet.

- Qu'est-ce que tu entends par "comme lui"? Je refuse de te laisser insinuer que notre enfant est différent, et le mettre dans ce "collège pour enfants précoces" ne ferai que lui prouver qu'il l'est.

- parce que tu crois qu'il est bien dans son école? Les professeurs disent qu'il n'a qu'une seule amie!

- Peu importe. J'aimerai qu'on le consulte avant de prendre une décision.

- Pas aujourd'hui, alors. Prenons le temps de réfléchir.

À les entendre, ils en ont parlé toute la journée, ce qui explique l'air renfrogné de ma mère: quand ils ne sont pas d'accord, le moindre conflit peut durer des jours. Je ne suis malheureusement sûr que d'une chose: ce conflit-là risque de mal finir pour moi.

Le seul point positif est que j'aurai peut-être droit à un avis sur la question; Seulement, mes parents savent aussi bien l'un que l'autre que je vais refuser en bloc jusqu'à ce qu'ils abandonnent cette idée.

Un collège pour enfants précoces? Pourquoi pas un hôpital psychiatrique pendant qu'ils y sont?!

Cela me rappelle ce que me disait ma grand-mère quand je venais la visiter dans sa maison de repos. Tandis que mon père essayait de m'expliquer pourquoi elle était là-bas, elle m'a simplement dit:

"Tu vois mon petit, on range les gens par catégories. Si tu es différent, alors on te retire du monde parfois cinq minutes, parfois toujours. Moi je suis vieille, alors on m'a placé avec de vieilles personnes."

Cette simple phrase pleine de sagesse me donnait plus que jamais envie de la visiter; maintenant elle prend tout son sens. Je me demande toujours si elle était heureuse là-bas, mais la question ne s'est jamais posée: elle n'avait pas le choix.

Ce soir là, je tente de chasser mes soucis en écoutant de la musique; l'idée du cadeau d'Elys me revient. En fouillant dans ma bibliothèque, je retrouve des vinyles de jazz que j'ai eu pour mon anniversaire. Ayant trafiqué mon lecteur pour tenter d'obtenir un émetteur radio, je n'ai plus de quoi les écouter. Je pourrai au moins lui offrir quelque chose.

Je les mets dans un sac pour le lendemain soir. M'allongeant sur mon lit, je contemple le plan du système solaire que j'ai accroché au plafond. Si étendu. Nous sommes 8 milliards, et une seule personne compte pour moi.

C'est avec cette pensée que je m'endors.

Le secret du manoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant