Les Chroniques des Souvenirs : L'Épée des Walysts

16)

Ruth et Grope mirent une bonne partie de l'après-midi à courir après Adriel ou Elov. Mais force à dire que personne ne savait où ils se trouvaient exactement. Au bout de deux bonnes heures, en passant devant une porte entrouverte, la jeune Ondine aperçut une chevelure bien reconnaissable. Elle continua malgré tout son chemin et arrêta Grope.

- Attends Grope ! Ça fait depuis ce matin qu'on les cherche. Je te propose qu'on se sépare, ça sera plus simple. Et si tu trouves l'un des deux, ramène-le-moi en le prenant par l'oreille ! Dit-elle avec un clin d'œil complice.

- Compte sur moi, s'ils croisent mon chemin, ils vont regretter le jour où ils sont nés ! grogna le gobelin, révolté.

Elle le laissa faire son chemin et fit semblant de prendre un couloir adjacent. Elle attendit que le champ soit libre pour faire demi-tour. Elle retourna vers la porte en priant qu'il n'ait pas encore disparu. Elle ouvrit complètement cette dernière et s'engagea dans la pièce. Il s'agissait d'une gigantesque bibliothèque intégralement en bois du sol au plafond.

Elle resta un moment, stupéfaite par la hauteur des étagères et par le nombre incalculable de livres aux reliures dorées qu'elle apercevait. La pièce sentait la poussière, le parchemin et le cuir usé. Loin des bibliothèques modernes de son monde qu'elle avait l'habitude de côtoyer.
 
Elle effleura du bout des doigts les ouvrages en lisant mentalement leurs noms. Peut-être était-ce ici que Grope était venu chercher les ouvrages sur les Ondines. Peut-être ne voulait-il pas avouer qu'il avait dû se rendre au château ? Et peut-être aussi savait-il déjà à l'avance que Timmy était reparti, mais qu'il n'avait pas eu la force de le lui dire.

Mais elle ne lui en voulait pas. Elle savait que s'il l'avait fait c'était pour l'épargner le plus longtemps possible. Elle inspira un grand coup, tandis que la poussière venait lui irriter les narines. Elle sillonna ainsi quelques allées avant d'apercevoir la chevelure désordonnée qu'elle connaissait tant.

Il était là, au milieu de ces bouquins, penché sur l'un d'eux. Le front barré par la concentration, il semblait lire à toute vitesse. Elle avança d'un pas et une latte en bois sous ses pieds grinça. Adieu la discrétion. Adriel releva subitement la tête, comme pris en flagrant délit.

Au moment où il la vit, son visage se décomposa intégralement. Il semblait à mi-chemin entre la gêne, la tristesse et le désespoir. Cela désarma tellement Ruth qu'elle n'osa rien dire dans un premier temps. Mais elle se reprit, sa colère revenant à vitesse grand V.

- Adriel ! Ça fait deux heures que je te cherche ! Pourquoi tu n'es pas venu me voir ? Ni pendant ma convalescence à l'hôpital, ni après l'audience auprès du Conseil !

Elle vit la mâchoire d'Adriel se durcir, tandis qu'il fuyait son regard en replaçant sur l'étagère le livre qu'il lisait avec tant de passion il y a quelques instants. Il lui tourna le dos en baissant la tête. Elle vit son poing se serrer et elle sentit les larmes revenir, détruisant ses maigres barrières qu'elle avait érigée pour éviter une nouvelle crise de larmes.

- Tu ne comprends pas Adriel ? J'avais besoin de toi, mais tu n'étais pas là. Qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu m'en veuilles au point de me laisser seule entre les mains des membres du Conseil ? Tu m'en veux de ne pas t'avoir dit que j'étais blessé ? De ne l'avoir dit qu'à Elov ? Dis-moi, je t'en prie, car je ne comprends pas et je ne supporte pas ce silence...

Il se retourna enfin, et, cette fois-ci, Ruth reconnut sans peine les sentiments dansants au fond de ses yeux : colère, tristesse, jalousie, culpabilité. Tout ça à la fois dans un tourbillon d'émotions.

- Oui je t'en veux Ruth. Pour ne rien m'avoir dit. Pour le fait que tu t'es éloigné de moi. Pour tes secrets. Pour ta disparition. Mais je ne t'en veux pas plus que moi-même je m'en veux... Si je n'avais pas donné cette malheureuse pièce à ces gamins tu n'aurais pas eu à courir et ça ne t'aurait pas mené aux portes de la Mort ! Tu as rencontré le Passeur ! Ça veut dire que tu étais déjà morte et presque condamnée !