[I] Au village d'Igaray

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Quelques jours plutôt, le vingt-neuf mars à Nice, en France, vers 22h47.

« Vite, plus vite bon sang! Je vais finir par rater ce car..je ne sens plus mes jambes et mes poumons sont comprimés..je commence à être à court d'oxygène.. »

En longeant les derniers bâtiments et tournant à l'angle de la dernière ruelle, les cotes martelées par son sac, il s'aperçut avec horreur que les lumières juchées au sommet de leur immenses poteaux n'éclairent qu'un vide silencieux, et qu'enfin arrivé sur place, l'autobus éclairé de ces phares était déjà repartis sur la route emportant avec lui tout son désespoir...et pourtant!

La dernière chance qu'il lui restait était ce feu rouge qu'il vit à deux cent cinquante-six mètres plein nord, il s'élança alors avec toute sa hargne bien que gêné par ses chaussures de ville. Mais ils étaient passé au vert et il resta cloué sur la place, haletant, plié en deux par une crampe soudaine au mollet, tandis que le car gravissait lourdement la pente avant d'être englouti par le tunnel comme dans un vaisseau.

« Pu..ta.in!...merde! Non! pas ça !! J'vais rentrer comment maintenant! » hurla-t-il dépité, et les larmes lui montant déjà aux yeux par la colère.

Essoufflé et paniqué par la situation, il s'imaginait déjà les pires scénarios une fois rentré chez lui, avec un père tyrannique et une mère absente et totalement dépressive il n'y avait pas trop à pousser la reflexion quant à la teneur de sa sanction. Plus de seconde chance, le patriarche était catégorique, surtout que cette autorisation de sortie un samedi soir à cette discothèque lui avait valu de longues supplications, d'interminables discussions et la plus injuste des conditions, il devait impérativement rentrer avant vingt-deux heures quinze. Pour l'adolescent c'était le comble, il était évident que ses projets coulés à pic, lui qui voulait passer la fin de la soirée dans les bras de son compagnon, un jeune étudiant répondant au nom de Wayne Harrington, vingt-et-un ans, en dernière année de licence de droit, un tantinet espiègle, amusant et bien sûr correspondant parfaitement aux critères de sa jeune proie. Il avait fait sa connaissance il y'a de cela deux mois lors des portes ouvertes dans sa faculté. Il a suffit d'un simple regard, d'une main douce frôlant sa nuque pour le faire amarrer dans les précipices de l'amour. Yahn était quelqu'un de facilement influençable, qui aimait se laisser guider par ses sentiments, ainsi sa mise en couple avec son coup de foudre n'a pas été longue à venir mais et est resté dans le plus grand des secret où seule sa cousine Seryn a été mise dans la confidence.

Depuis les meurtres à la chaîne dans les villages alentours, le chef de famille faisait appliqué un protocol particulièrement stricte aux membres de sa famille. Il s'était renfermé sur lui-même causant là le chagrin de sa petite femme, son ouverture esprit s'était étiolé au fil des massacres, et sachant le meurtrier toujours en liberté, il s'est d'ailleurs barricadé dans sa maisonnette interdisant les sorties à ces enfants. Ses angoisses étaient si nombreuses qu'en période scolaire, il passait ses journées à guetter le passage des bus derrière les stores de sa chambre à coucher, ainsi qu'il pleuve ou qu'il vente il venait toujours à la rencontre de ces garnements à la station sans jamais les perdre de vue. Alors vous comprendrait que la relation entre père et fils s'est quelque peu détérioré, il ne lui laissé plus aucune liberté si bien que son secret était bien gardé par le petit nombre. Le contrat a été d'ailleurs vite conclu en « Tu feras tout ce que je te demanderai de faire sans répliquer ou alors j'interdirai même la visite de tes amis! ». Les négociations n'étaient plus permises sans faire de concessions, et là le malheureux venait de détruire tout ces efforts, une humiliation de plus sur son tableau déjà qu'il se faisait taquiner par son petit-ami, ces amis eux le plaignaient parce qu'il était traité comme un enfant de cinq ans, maintenant il pouvait faire une croix sur ses soirées.

La première idée qu'il lui effleura l'esprit était de prendre un taxi pour rattraper l'autobus, mais il ne savait même pas où il se trouvait actuellement, et il était certain de ne pas avoir assez d'argent pour reprendre la route. Il aurait peut-être du faire demi-tour, retrouver ses amis et voir s'il pouvait se faire prêté la somme suffisante, mais rebrousser le chemin à cette heure tardive de la nuit n'était pas la meilleure des options. Il posa son air hagard sur les quartiers voisins, aussi sombres et silencieuses que l'était le ciel d'hiver quand vint son salut, le feux passé une nouvelle fois au rouge une voiture s'était arrêté doucement.

Yahn était posté à la hauteur de la portière gauche exactement dans le champ de vision d'un vieux couple. Il empoigna la glace à demi-baissé comme si sa vie en dépendait et balbutia avec une voix presque éteinte : « Excusez-moi! Pourriez-vous m'approcher de l'arrêt Igaray ou n'importe où vers cette direction..j'viens de manquer le dernier bus..je vous en prie ». Cette dernière supplication laissa le conducteur de marbre, il garda les yeux rivés sur les feux tricolores et commença à embrayer, la vieille dame assise à ses côtés hésita, regardant l'inconnu comme si l'inspecter allait affirmer son innocence, puis lui ouvrit la portière arrière après l'avoir avertis :

« Montez vite jeune homme. Nous nous rendons au quartier voisin, l'arrêt Igaray n'est pas bien loin de notre auberge. »

Yahn déposa son sac sur ces genoux et pris place sur la banquette arrière, la voitura redémarra calmement. Ils allaient au moins dans la bonne direction, ce qui lui permis de détourner son attention de la route et dresser une carte devant lui, l'auberge en question se situait à six cent quarante mètres de son arrêt juste après le carrefour il lui suffisait de les franchir à pieds et de tout évidence il n'avait aucun autre moyen de rentrer.

Le silence fut rompit par la voix rocailleuse du conducteur : « Jeune homme vous devriez éviter de faire du stop aussi tard, les rues ne sont plus aussi sûr de nos jours ! Vos parents sont informés de vos sorties tardives ? Oh mais la jeunesse n'est plus ce qu'elle était! Et les parents ne semblent plus avoir d'autorités sur leurs garnements de nos jours..Quelle négligence ! »

« Vieux débris, pensa-t-til tout bas, tss..en quoi mes sorties nocturnes le regardait ? »

En d'autres circonstances, il n'aurait jamais laissé un totale étranger lui faire des leçons de morale, même ses professeurs de lycée en subissaient les frais, mais il prit sur lui et refoula en son fort intérieur toute forme d'impolitesse qu'il serait tenté de recracher. Après tout, ils devaient faire un bout de chemin ensemble autant apaiser leur inquiétude, Yahn reprit avec un peu plus de calme et essaya d'imiter l'adolescent angoissé : « C'est la première fois que je fais du stop Monsieur, et mon père n'aurait jamais tolérer une telle conduite..mais il se fait tard, et je ne voyais aucune autre alternative pour rentrer chez moi.

Bien, sachez mon garçon que votre père a raison d'être si stricte, indépendamment de ce que l'on entend à la radio, massacres et compagnies, cette zone est dangereuse pour les jeunes..vous avez été assez chanceux de ne pas être tombé sur une personne mal intentionné, ou habites-tu exactement ?

Au village d'Igaray, mais vous pouvez me déposer au carrefour, ce n'est pas bien loin de votre auberge, mes grands-parents y vivent, je passerai leur rendre visite, je vous assure que je ne risque rien. »

Un ton maitrisé et le mensonge n'en paraissait plus un, telle était sa devise. Le vieil homme semblait accepter sa requête c'est tout ce qui comptait, le trajet se passa alors en silence. Il prit finalement le temps de détailler ces sauveurs de la soirée, au vue de la tension palpable qui régnait à l'avant du véhicule, ils venaient sans doute de se disputer, sa compagne avait le teint sombre et un air courroucé, il fut d'ailleurs soulager quand le conducteur s'arrête silencieusement au carrefour. Il en sortit prestement, le sac trainant sur son dos, en marmonnant quelques remerciements et les vit s'éloigner vers le village de Syndham. Ce furent les derniers êtres-humains à l'exception d'un seul à l'avoir vu vivant.

Il s'accroupit pour échanger ses chaussures de villes contre ceux qu'il utilisait dans son club d'athlétisme, bien plus souples et confortables que les précédentes reprenant son chemin et bientôt plus que six cents trente-neuf mètres à parcourir pour rejoindre son lit douillet. La route étroite, sans éclairage, était bordée d'un côté par une rangée d'arbres et de buissons de l'autre...elle paraissait bien longue et interminable.

" Hh..ne pense à rien et cours mon gars! "

One Way To Deliver (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant