la rage de vivre

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C'était d'abord doux et pourtant grave, un rythme qui faisait se dresser les échines. La baignoire se remplissait, le sang affluait un peu plus rapidement dans nos veines. Nos esprits s'élevaient dans les hauteurs, admirait la cruelle beauté du monde, ainsi que son incommensurable laideur. Tout n'était que souvenirs, des murmures remontaient à la surface et puis nous perdions ce qu'il nous restait de raison. Un désir bouillant de courir, de respirer plus grand, de toucher plus haut, de voir plus loin, de plonger plus profondément dans ce brouillon indécis qu'était la vie ; cela nous prenait aux tripes, nous rongeait l'esprit. Rien n'avait de sens et pourtant nous courions à en perdre haleine, à en perdre le souffle, oui, nos âmes étaient déchaînées et nous pleurions en silence. Des braises se rallumaient tandis que d'autres étaient réduites en cendres. Mais ça n'importait plus. Plus rien ne comptait. Nous étions libérés de toutes ces choses que l'on croyait pourtant importantes. Nous n'avions plus rien. Le monde n'était que débris, et cela faisait un bien fou.

Quelque chose de bien plus puissant nous tenaillait là. Nous nous sentions juste vivants. Atrocement vivants. Et nous n'aurions su dire si c'était là la plus belle des sensations ou bien la pire des souffrances. Nos frissons étaient les mêmes et pourtant, ils n'avaient pas les mêmes significations. Nous étions une vague humaine qui se dressait peu à peu au dessus de ces édifices que nous avions battis de nos propres mains. Une rage sans limite nous empoignait d'une seule secousse. Il grandissait en nous une haine refoulée, quelque chose qui nous dévorait, et que nous repoussions chaque jour, chaque matin, chaque soir, chaque misérable seconde de notre existence. Cette fois-ci, nous étions tout simplement incapables d'ignorer cette fureur qui nous animait. Nous étions dans ce besoin d'avoir mal et de faire mal, dans ce besoin de ranimer l'espoir que nous nous étions contentés de piétiner durant toutes ces années. Nous avions soif de vie, de quelque chose de nouveau, d'étonnemment sanglant et de doux, pourtant.

La baignoire semblait pleine, mais cela ne suffisait pas. Non, cela ne suffisait plus.

Avides de pouvoir, de quelque chose qui nous ferait vibrer du plus profond de nos êtres. Quelque chose qui nous rendrait la vue que nous nous étions obstinés à perdre. Les masques tombaient enfin. Mais pourquoi, oui, pourquoi ? Pourquoi avions-nous tenu à donner du sens à des choses, des actes, des paroles qui, nous le savions tout au fond de nous, n'en avaient pas ? Aucune réponse à cela, c'était évident. Étions-nous simplement... aveugles ? Probablement.

Ce qui se passait là était tout simplement incroyable. Nous étions en vie. Nous étions humains. Nous étions ce que nous aurions dû être depuis le début. Nous étions ce que l'on avait oublié que l'on pouvait être. Nous étions, tout simplement. L'eau détruit tout sur son passage. L'étincelle, devenue vague gigantesque qui avale nos âmes en ébullition. Que nous arrive-t-il ? Si seulement nous le savions ! Notre coeur battait juste plus grand, plus fort, nos poitrines explosaient et nos corps brulaient de l'intérieur. Et puis ? La chute ; celle qu'on attend toute notre vie. Tombant de haut, lentement, l'air sifflant à nos oreilles. Celle qui nous donnerait l'impression que nous serions capables de voler. Loin, si loin. Jusqu'à toucher l'horizon ; jusqu'à effleurer le soleil. Mais au lieu de ça, on s'écrase juste au fond. Et puis il n'y a plus rien si ce n'est les ténèbres.

Vous savez... la baignoire avait juste débordé.

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