La Bibliothèque interdite

Chapitre 8

          Perchée dans un arbre à l'orée de la forêt, je surveillais le domaine d'un œil attentif. Emren était dans le manoir depuis des heures déjà et la boule de stress qui m'enserrait le ventre n'avait cessé de croître depuis. Il aurait dû en finir depuis longtemps et son retard ne pouvait s'expliquer que par des complications.

          Tout avait bien débuté pourtant. Le fermier n'avait pas posé de problème, il s'en était occupé rapidement pendant que je l'attendais dehors. A l'aide d'une lame courte, j'avais fait levier sur le siège du conducteur pour faire sauter la planche qui en constituait l'assise. Il avait alors pu se glisser dans l'espace creux ainsi ménagé. J'avais délicatement reposé le bois à sa place pour prendre place en agitant un peu les rênes, poussant le cheval de trait à se mettre doucement en marche.

          Les vêtements de jute rêche m'irritaient la peau et l'odeur qui les imprégnait m'écœurait, mais le chemin n'était pas long et je n'eus pas le loisir de m'en plaindre. Les gardes, peu méfiants, n'avaient pas trop insisté. C'est à peine s'ils avaient vérifié le contenu du chariot et je pus entrer sans difficulté.

          Visualisant mon parcours, je me dirigeai vers le premier point de stockage des ordures. Pelle en main, je m'employai à en charger le véhicule en fronçant le nez, songeant soudain que l'idée n'était pas si bonne. Je poursuivis néanmoins mon trajet entre les bâtisses et, lorsque j'arrivai au niveau de la grange, je constatai avec soulagement que l'endroit était bien désert et hors de vue. Sans dire un mot, je fis rapidement basculer l'assise pour permettre à Emren de sortir et ce dernier disparut aussitôt dans le bâtiment, l'escaladant tout en souplesse pour s'y glisser par la fenêtre.

          Et désormais j'étais là, perchée dans les cimes depuis des heures, regardant le jour se coucher et la nuit reprendre ses droits sur le monde. Trois fois déjà, j'avais manqué de descendre le rejoindre, intimement persuadée qu'il était en danger. Et trois fois donc, j'avais ignoré mon instinct, me raccrochant à ma promesse et me persuadant que je ne ferais que le mettre davantage en difficulté.

          Mon cœur rata un battement lorsqu'un mouvement capta mon attention à l'orée de la forêt. Je remerciai les cieux en songeant que cette affreuse mission était enfin terminée. Mon maître rentrait. Pourtant, la silhouette aperçue ne venait pas vers moi, mais se dirigeait au contraire vers le domaine. Un doute affreux s'insinua dans mon cœur. Car si ce n'était pas Emren, ce ne pouvait être que les Parias envoyés pour récupérer la carte avant lui...

          Lorsque, à la lueur des torches, cinq silhouettes se découpèrent dans l'obscurité, le doute devint certitude. Ils tranchèrent la gorge des gardes en faction et contournèrent les rondes. Je les distinguais nettement désormais, s'avançant à découvert après avoir supprimé les soldats, escaladant sans peine la façade pour se glisser au premier étage du manoir.

          C'est alors que je fis quelque chose que je n'aurais jamais cru faire. Je rompis ma promesse et me mis en mouvement. Je savais ne pas être aussi silencieuse et discrète que ces hommes entrainés, aussi privilégiai-je la vitesse à la mesure. En quelques minutes, j'avais rejoint les abords du domaine et me décidai alors à ralentir.

          Les environs paraissaient déserts mais il aurait été naïf de penser qu'un groupe aussi expérimenté n'avait pas laissé de sentinelle. Mes pas me portèrent donc avec prudence tandis que mon regard fouillait inlassablement les ombres. Tous les sens en éveil, je restais attentive au moindre détail. Les arbres non loin dont les branches craquaient. Une chouette cherchant une proie et hululant dans l'obscurité.

          Un souffle dans mon dos.

          Je roulais vers l'avant, poussant sur mes jambes pour me propulser le plus loin possible. Le bruit sourd d'une lame qui s'enfonce dans le sol me confirma ce que mon instinct m'avait déjà soufflé, et je dégainai en me retournant. Face à moi, un homme dont le visage était dissimulé, au corps fin et svelte et dont les yeux brillaient du reflet des torches. Un éclat meurtrier.