J'avais à peine fermé l'œil de la nuit, fébrile. Notre départ était prévu tôt ce matin-là et le voyage durerait plusieurs jours. Je savais que je ne tarderais pas à regretter mon manque de sommeil mais je ne pouvais plus reculer désormais.
Emren n'avait pas laissé filtrer la moindre précision quant à notre cible, préservant le mystère sans ciller jour après jour. J'espérais qu'une fois sur la route il finirait par desserrer les lèvres et me céder au moins un indice.
Je laissai mes pensées dériver alors que je faisais mon sac, repensant aux derniers jours. Ils avaient filés à une vitesse folle tant je prenais plaisir à apprendre aux côté d'Emren. J'appréciais chaque instant, de sa brutalité implacable durant nos entrainements à la douceur qui suivait. Sa façon de me confronter à des problèmes pratiques et de mettre à l'épreuve mon intelligence autant que ma force me permettait de progresser plus que jamais ; et l'étincelle de fierté que j'allumais parfois dans ses yeux embrasait immanquablement mon cœur.
Lorsque je pénétrai dans le salon j'y trouvai mon mentor qui m'attendait, le nez dans ses papiers comme toujours. Il devait être absorbé par ce qu'il lisait car il ne releva même pas la tête. Je m'assis en silence sur le fauteuil qui lui faisait face et lui laissai le temps de finir, de longues minutes s'écoulant ainsi. Lorsqu'il finit par les ranger, un pli soucieux barrait son front.
- Tu es prête ?
- Oui.
Alors qu'il attrapait d'un geste souple son propre sac pour se diriger vers la porte, je l'interrompis.
- Il y a un problème ?
Comme toujours lorsque je posais une question à laquelle il ne s'attendait pas, il me transperça de ses yeux acier sans répondre. Dans ces instants-là j'avais l'impression qu'il me jaugeait, comme s'il cherchait à savoir si j'étais prête à entendre la vérité.
Finalement, il se contenta de pousser la porte pour s'avancer dans le couloir et je le suivai sans insister. Quelque chose me soufflait qu'il finirait par répondre.
J'étais étonnée de toutes les démarches à faire avant de quitter l'Arche pour partir en mission, et me trouvais plus qu'impatiente. Ça faisait plus de trois ans que je n'étais pas sortie, et j'avais hâte de pouvoir de nouveau admirer l'entrée de la base, cette immense arche gravée dans la falaise qui avait dû demander un travail de titan. Mais surtout, j'avais hâte de sentir le soleil sur mon visage et de respirer l'air frais. D'entendre le chant des oiseaux et de contempler l'horizon...
Hélas, il fallut d'abord faire signer un document par le Gardien de la porte, puis aller voir le palefrenier avec ledit document et revenir sur nos pas avec nos montures qui, n'appréciant pas d'avancer dans des souterrains, n'hésitèrent pas à nous le faire savoir à grand coup de hennissements et de quelques ruades. De retour face au Gardien, Emren dut présenter un autre papier et ce dernier nous permit d'avancer pendant que l'homme ouvrait la herse et la grande porte depuis une pièce sécurisée.
Lorsqu'enfin nous fûmes dehors, ce que je vis dépassa mes attentes.
Je n'étais jamais sortie aussi tôt, en tout cas pas suffisamment pour profiter du spectacle sublime qui s'offrait à nos yeux. Le soleil venait juste de pointer, et c'était cet instant du jour où, quelques secondes durant, l'air lui-même semble nimbé des couleurs du soleil. Lorsque je me retournai pour contempler l'arche, j'écarquillai les yeux. Les arabesques sculptées semblaient se gorger de la lumière du soleil, l'absorber. Emren me sourit gentiment avant de m'expliquer ce qui se passait.
- Les orbes de lumières qui flottent dans les souterrains et qui éclairent les différentes salles sont nées des anciens enchantements que les créateurs de l'arche ont apposé dessus. Chaque matin, le Gardien active l'enchantement dès que pointent les premiers rayons du soleil et recharge les sphères. Le procédé dure quelques minutes et, comme tu peux le voir, c'est très beau.
C'est ainsi que débuta notre route et, rêveuse, je laissai le silence s'installer. Une heure devait s'être écoulée, peut-être deux, quand la voix de mon maître me tira brutalement de mes pensées.
- Il y a effectivement un problème. L'un des membres du conseil des Neuf prend un peu trop ses aises mais couvre bien ses traces. Kira veut savoir qui c'est. Si notre sortie a été si longue, c'est parce que nous ne partons pas en mission officielle. J'ai dû demander une sortie pour raison personnelle, ce qui est beaucoup plus délicat à obtenir. Le nombre de personnes au courant de la véritable raison de notre départ se compte sur les doigts d'une main.
Je digérai l'information, faisant immédiatement le lien avec la conversation surprise quelques semaines plus tôt. Je le questionnai, le poussant à poursuivre.
- Et quel est le but précis de la mission ?
- On a des raisons de croire que des hommes ont été envoyés au domaine du Comte Esther de Dèbe afin de lui dérober quelque chose. J'ai réussi à découvrir la cible de vol, mais pas son emplacement. Si j'arrive à le trouver avant eux, on file en vitesse. Sinon, on entame une filature et, selon leur nombre, on les abat pour récupérer l'objet ou on les identifie pour les retrouver facilement une fois rentrés.
- C'est quoi l'objet ?
- Une très ancienne carte, écrite dans une très ancienne langue.
- Une carte pour aller où ?
- Je me dis que si on le savait, on serait peut-être capable d'identifier celui qui la veut et pourquoi.
J'avais du mal à croire qu'il existe des conflits sous-jacents au sein même du conseil des Neuf, plus encore que l'un de ses membres ignore les directives de Kira. Celui qui faisait ça devait être très doué et dangereux pour avoir survécu si longtemps. Un tacticien hors pair.
- Une dernière chose Ava.
- Oui ?
- Ton rôle se limite à m'aider à accéder à la grange. Tu ramasses les ordures puis tu sors du domaine et tu ne t'en approches plus. Celui qu'on cherche n'hésite pas à tuer des nôtres pour couvrir ses traces, si ses hommes voient ton visage, tu signes ton arrêt de mort.
Je hochai simplement la tête en signe d'assentiment, pensive et confuse. Je n'avais pas encore été confrontée à l'ambition démesurée que peuvent avoir certains, et apprendre qu'elle rongeait un membre aussi important des Nocturnes avait un goût amer.
- Promets-moi que tu ne prendras aucun risque.
- Je vous le promets.
Je ne me doutais pas en prononçant ces mots que cette promesse serait si difficile à tenir.
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La Bibliothèque interdite
FantasyÉlevée pour devenir assassin au sein des Nocturnes depuis l'enfance, Ava fait ses premiers pas dans un monde dont elle ignore beaucoup. N'ayant jamais connu que la solitude et l'abandon, son seul point de repère est son Mentor ; l'homme qui le premi...