La Bibliothèque interdite

Chapitre 9

          Le silence qui nous accompagna sur les premières heures du chemin du retour pesa sur moi comme une chape de plomb. Lorsqu'enfin Emren jugea que nous nous étions suffisamment éloignés du danger, il se dirigea vers un bosquet dans lequel nous avions déjà fait halte à l'aller et mis pied à terre lestement.

          Les traces de notre précédent feu étaient encore bien présentes et des marques de notre passage emplissaient le lieu. Ici l'herbe s'était couchée sous nos couvertures, là des marques de pas s'étalaient dans la terre meuble.

          Je mourais d'envie de briser ce mutisme, de laisser éclater ma frustration et de me justifier auprès de lui jusqu'à le forcer à me comprendre. Pourtant, chaque fois qu'une phrase menaçait de franchir la barrière de mes lèvres, le peu que je discernais de ses traits sous son masque était suffisamment tendu pour m'inciter au silence.

          Ce fut donc apathique que je m'éloignai pour ramasser du bois, prête à tout pour m'éloigner de cette atmosphère suffocante qui m'oppressait depuis des heures. Mais mon maître devait penser que même ça je ne le méritais pas, puisqu'il me retint par le bras et me fit signe de m'assoir.

          - Un feu nous rendrait trop repérable, ils vont se douter que ce n'est pas un garde qui a tué deux des leurs. Même s'ils ne partaient pas à notre recherche, ils resteraient à l'affût de ce genre de signe.

          Le doux murmure de sa voix manqua de me faire sursauter et je me tournais vers lui, prête à me déverser en paroles comme si ces quelques mots - les premiers depuis notre départ - étaient un signal. Pourtant, plutôt qu'un flot ininterrompu, une seule question perça le calme de la petite clairière.

          - Vous m'en voulez beaucoup ?

          Les quelques secondes que durèrent son hésitation me parurent une éternité mais, lorsqu'il le fit, je m'apaisai enfin.

          - Non. Je m'en veux à moi même. De n'avoir pas prévu que tu ne pourrais pas rester derrière. Et de ne pas t'avoir préparée en conséquence. Tu aurais pu mourir Ava, sans que j'ai rien pu faire pour l'empecher. Et ça aurait été ma faute.

          - Alors je ne vous ai pas déçu ?

          - Non. Enfin, pas vraiment... J'aurais préféré que tu ne t'engages pas dans une promesse que tu ne pouvais pas tenir. Comment puis-je me fier à toi si tu ne connais pas tes propres limites ?

          Si ces paroles me firent l'effet d'un coup de poignard en plein cœur, celles qui suivirent furent un baume.

          - D'un autre côté, j'imagine que tu ne serais pas toi si tu n'avais pas cédé à l'envie de venir me rejoindre.

          - Je vous jure, j'ai vraiment essayé de tenir cette promesse. Mais les heures passaient et vous ne reveniez pas, et quand j'ai vu ces hommes avancer vers le manoir et éliminer tous ces gardes en un instant j'ai cru... j'ai cru que...

          Ma gorge était soudain nouée, me rendant incapable de poursuivre les explications. Ce que j'avais ressenti en pensant Emren perdu me frappa de plein fouet, comme si j'y étais encore. Je ne voulais pas qu'il me voit ainsi. Faible. Dépendante.