Chapitre 16

189 15 5
                                    

          J'avais toujours aimé courir mais, ce que m'imposait Emren aujourd'hui, c'était de la torture. Selon ses propres mots, il souhaitait voir combien de temps je tiendrais avant de m'effondrer. Il m'avait donc levé aux aurores, bien avant que mon réveil n'ai l'occasion de me tirer de mes songes, et m'avait entraîné dans le dédale de couloir du QG jusque dans des lieux auxquels je n'avais jamais eu accès. En courant bien sur.

          Si j'avais d'abord contemplé le moindre recoin de ce nouveau lieu, j'avais vite compris qu'en apparence rien de le distinguait de ceux que je connaissais. Les même dalles grises au sol, les mêmes murs de pierres claire, les même portes aux poignée patinées par le temps se succédaient dans les couloirs. Et si ces portes menaient sur des salles différentes de celles où j'avais le droit d'aller seule, rien ne le laissait présager. Je m'étais amusée à imaginer des laboratoires privés pour les empoisonneurs les plus compétents, regorgeant de plantes rares et de poisons mortels. Ou bien des salles de réunions, dédiées aux différentes divisions lorsque chacun se devait d'être présent pour écouter des consignes importantes.

          Par une porte entrouverte, j'avais su distinguer un bureau en bois noble dont le temps n'avait pas su ôté le verni brillant. Malheureusement, la porte s'était refermée sur ses secrets avant que mes yeux ne trouvent celui qui l'occupait.

          J'avais finalement renoncé à regarder autour de moi lorsque la brûlure de mes poumons était devenue intenable, préférant me réfugier dans mes pensées pour fuir les signaux alarmés de mon corps.

          Les informations glanées auprès d'Aaron hantaient mon esprit depuis que j'étais rentrée. Ce que j'avais appris sur mon mentor, bien sur, mais aussi le reste. Il avait sans le vouloir, peut être même sans en avoir conscience, ôté le voile de naïveté qui recouvrait mes yeux. Les traîtres au service du seigneur Novem n'étaient des traîtres qu'aux yeux de ceux qui ne partageaient pas leur allégeance. Emren lui même aurait pu être un traître, s'il n'avait pas eu l'intelligence de choisir le bon camps et la chance que Viviane accède si facilement et si vite au pouvoir. En vérité, c'était simplement ainsi que fonctionnaient les choses chez les Nocturnes. Le chef n'avait jamais été le plus fort ni le plus méritant, mais simplement le plus rusé. Les promotions se gagnaient tout autant grâce à la force brute que par les relations et les complots.

          Le monde était ainsi, visiblement.

          J'avais aussi beaucoup pensé aux Sentinelles. Un mot, un nom volé par hasard dans des conversations que je n'aurai pas dû entendre. Mais une fois toutes mes questions posées et toutes mes réponses obtenues, j'avais eu bien du mal à comprendre pourquoi le sujet était un tel tabou. Une organisation opposée à la nôtre tentait de nous mettre des bâtons dans les roues et on persistait à envoyer de jeunes Ombres en mission sans même les informer de ce danger potentiel ? Sans les y préparer ?

          Je taisais fortement ces pensées, mais ce n'étais pas la première fois que je m'interrogeais sur la formation que j'avais reçu. J'avais réalisé que j'ignorais tout du monde qui m'entourait. De son histoire, de son fonctionnement, de sa politique. La seule histoire que je connaissais vraiment était celle des Nocturnes, le reste n'était apparemment pas digne d'être évoqué.

          Une question me revenait sans cesse depuis ces quelques jours : de quoi avaient-ils peur ? S'imaginaient-ils que s'ils instruisaient trop les enfants, ces derniers voudraient rejoindre l'extérieur ? Pensaient-ils que s'ils nous expliquaient les buts de nos ennemis nous souhaiterions nous allier à eux plutôt que de lutter contre ceux qui nous menaçaient ? J'avais grandi ici, j'y avais trouvé ma place. Je m'y était lié d'amitié. Emren était ici, et pas ailleurs, et je ne l'aurai quitter pour rien au monde.

La Bibliothèque interditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant