Chapitre 1 : Colin et Charlotte Speed

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Mardi 21 février, déjeuner.

Ce mois de février 2017 était étrangement doux. Je le savais parce qu’avant ce captivant déjeuner, je n’entendais que des discussions inintéressantes sur la pluie et le beau temps. Quand elles ne fantasmaient pas sur Jeff (le type de la plonge, si je ne me trompe pas), Sandy et Millie, nos deux serveuses, discutaient en long et en large des tenues qu’elles pourraient bien porter en fonction du temps qu’il faisait. En ce moment, elles piaillaient à propos de la nouvelle collection de je-ne-sais-quel grand couturier. Selon leurs dires, ces robes seraient « divines » ou « à tomber », bien que je parie que je pourrais faire aussi bien, voire même beaucoup mieux, si je le voulais. Or je n’ai pas de bras.

Il était quatorze heures passées lorsqu’un jeune homme, assis ici depuis plus d’une heure, fit mine de se lever. Avant même d’être debout, il se rassit en jurant, se passant une main sur le visage. Il avait une trentaine d’années et venait ici assez souvent. Son beau costume clamait « Écoutez-moi bien ! Si vous vous avisez de me servir mon café un poil trop froid, je jure de racheter l’enseigne et de vous mettre tous à la porte ! » ; mais ses yeux verts et son regard innocent transmettaient une toute autre impression de lui. Il avait été contraint de manger seul, même s’il était évident qu’il attendait quelqu’un. A présent, il jouait avec son alliance, se demandant sûrement s’il devait partir ou continuer à attendre. Aux regards qu’elles lui jetaient, Sandy et Millie ne semblaient pas vouloir qu’il parte tout de suite. J’avais beaucoup entendu parler de ce garçon, mais cette fois, pas de la bouche des serveuses. C’était Alfred, le patron, qui nous avait mis en garde la première fois que cet homme était rentré ici. Il était le fils d’Eve et Robert Speed, le couple à la tête de Speed Industries, l’une des plus grandes compagnies automobiles du pays. Personnellement, ça ne m’avait fait ni chaud ni froid, mais c’est peut-être parce que je suis une table. Depuis ce jour, Colin Speed était un habitué et je semblais être sa table favorite. Bien sûr, je ne vous raconte pas ça par fierté, mais par souci du détail.

Quand son rendez-vous fut arrivé, je le su aussitôt. Il eut un grand sourire soulagé et se leva d’un coup, comme s’il s’était aperçu que quelqu’un essayait de lui retirer sa chaise par derrière. Une femme élégante faisait son entrée. Elle portait un immense chapeau (j’ai toujours trouvé ça ridicule, mais bon, qui suis-je pour juger…?) et des lunettes de soleil qui lui donnait l’air de la mouche la plus extravagante que je n’aie jamais eu la chance d’apercevoir. Elle portait une pauvre bête sur le dos et des sacs volumineux dans ses bras. Je reconnus de nombreuses marques de luxe telles que DorsLouis Avorton ou Canel… Elle arborait un sourire victorieux, comme si elle avait dû se battre pour chacun des articles présents dans ses sacs. Remarque, c’est bien possible, on ne sait jamais avec ces gens-là…

- Charlotte ! S’exclama Colin. Que faisais-tu ? Je t’attends depuis...longtemps !

Ignorant totalement son mari, Charlotte s’installait en face de lui, daignant enfin retirer ses lunettes de soleil, après avoir lorgné tous les clients par dessus sa monture. Colin soupira, impuissant, avant de commencer à jouer avec sa petite cuillère, attendant probablement que son épouse s’excuse. En vain. Charlotte ne semblait pas décidée à débuter la conversation. Elle était fascinée par son reflet dans son miroir de poche. Colin décida alors de prendre les choses en main.

- Alors… Qu’as-tu acheté ? Se lança-t-il.

- Des choses dont j’avais besoin.

- Oh, ça, permet moi d’en douter ! Tenta-t-il de plaisanter.

Grave erreur mon ami. On ne plaisante pas avec ce genre de choses. Et surtout pas avec ce genre de femmes...

- Parfaitement, Colin ! Si tu veux que je t’accompagne à ce déjeuner d’affaire, il faut bien que je fasse bonne impression ! J’ai acheté des tas de choses dont tu ne connais rien. Il est inutile que je t’explique ce que représente le nouveau sac à main de chez Armamie, n’est-ce pas ?

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