Chapitre 5 : Colin Speed et Alice Cooper

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Lundi 20 mars, 8h12.

Je me réveillais doucement lorsqu'une voix familière me tira complètement de la torpeur dans laquelle j'ai l'habitude d'encore me trouver à huit heures du matin. Colin se tenait debout, près de moi, toujours aussi élégant. Sa barbe était cependant moins bien taillée que d'habitude et ses yeux fatigués. Accoudé au bar, il attendait que Paige (la seule serveuse assez dévouée pour arriver avant 10heures un lundi matin) serve la longue queue d'hommes d'affaires qui attendaient avant lui. Tandis que je me disais que je ne l'avais jamais vu ici autrement que pour déjeuner ou dîner, je remarquai une jeune fille à ses côtés. Elle me faisait dos mais ses longs cheveux châtains en désordre me rappelaient quelqu'un, sans que je ne puisse savoir qui. Ce n'est que lorsqu'elle se tourna vers lui pour lui tendre une tasse fumante que je la reconnus.

- Voilà un café qui devrait remplacer celui que je viens de vous renverser dessus. Je suis vraiment navrée, je suis tellement maladroite ! Dit-elle avec un rire nerveux tout en replaçant une mèche derrière son oreille.

Plus de place au doute, nous avions bien affaire à Alice Cooper, la photographe maladroite. Super, deux artistes dans la même pièce. Je sentais que j'allais en voir de toutes les couleurs dès le matin. Je vous avertis, pensai-je, s'ils partent dans des délires bizarres, moi j'abandonne et je retourne dormir. J'en ai rien à faire si vous loupez cet épisode à cause de moi.

- Ne vous inquiétez pas, répondit Colin, c'est aussi de ma faute, j'ai la tête ailleurs en ce moment, je ne regarde pas où je mets les pieds...

- Vous voulez en parler ? Proposa-t-elle gentiment.

Ses sourcils se haussèrent de surprise. Il y eut un silence gêné qui me sembla durer des heures. Si j'avais pu, j'aurais même été prête à parler pour le rompre, mais voilà, le seigneur (ou Ikéa) ne m'avait ni doté de cordes vocales ni de roulettes qui m'auraient permis de m'enfuir sans regarder en arrière. Alice secoua la tête, honteuse, et je lui en aurais presque voulu si la honte n'était pas le pire sentiment qui existe. De plus, niveau malaise, je n'étais pas au bout de mes surprises...

- Je suis désolée, c'était une question stupide, on se connaît à peine...

- Non... A vrai dire, ça me ferait du bien, je crois... J'ai toujours l'impression de forcer les gens à m'écouter, rit-il.

Bien sûr, je ne connais pas ce sentiment, puisque mon récit est absolument passionnant, mais je compatis quand même. Enfin, je suppose.

Alice lui fit un grand sourire et ils se dirigèrent vers moi.

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- Et donc comme ça, vous êtes photographe ! S'exclama Colin. C'est merveilleux !

- Oui, enfin, j'aimerais être photographe. Pour l'instant je ne suis qu'amatrice. Je tiens un blog...

- Il faut bien un début à tout. Pourquoi ne passez-vous pas des entretiens ? D'après ce que je vois, vous avez beaucoup de talent.

Colin était penché sur le smartphone d'Alice, observant ses photos avec une attention presque effrayante. J'en venais même à me demander s'il voyait quelque chose que je ne voyais pas. Là où je voyais seulement une boîte de céréales, il voyait sûrement un message contre la société de consommation, ou ce genre de trucs à la mode chez les artistes... Ou alors cette photo n'était qu'une publicité et je me méprenais sur l'objet de son travail depuis le début...

- Mon dernier entretien s'est plutôt mal passé, voyez-vous...

- C'est-à-dire ? On n'a pas aimé vos clichés ?

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