Chapitre 2 : Charlotte Speed et Sean (?)

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Mardi 21 février, 15h12.

Je commençais à m’ennuyer lorsque j’entendis quelqu’un franchir la porte d’entrée. C’était Charlotte et, devinez quoi ? Elle était accompagnée ! Était-elle enfin prête à admettre qu’un café ne coupait pas la faim ? Allait-elle enfin consommer (parce que c’est quand même la fonction première d’un restaurant, si on y réfléchit) ? Où étaient passés tous ses sacs ? Vous êtes sans doute en train de vous poser toutes ces questions et vraiment, si c’est le cas, je me dois de vous féliciter. Vous suivez. Mais ce qui attisait ma curiosité, c’était l’identité du jeune homme qui l’accompagnait. Il était clairement plus jeune qu’elle, la vingtaine, je dirais. Son expression faciale ne respirait pas l’intelligence, c’est vrai, mais ce détail ne semblait pas compter aux yeux de Sandy. Tandis qu’elle le pointait du doigt en gloussant, Paige, sa collègue (Paige ne venait pas au travail pour parler Avorton, ça c’est clair), lui fit une petite tape sur la main et lui fit un signe de la tête pour lui ordonner de s’occuper d’eux.

Sans dire qu’il faisait tâche, l'homme n’était pas à sa place dans ce restaurant. D’ailleurs, lui aussi l’avait remarqué. Avec sa carrure de rugbyman et son débardeur sale, il passait aussi inaperçu qu’un obèse sur un plongeoir.

- Tu crois que c’est raisonnable, de goûter dans un endroit aussi luxueux ? Demanda-t-il, les sourcils froncés.

- Il n’est pas question de goûter, Sean, mais de discuter, dit-elle, agacée.

- Ah. Mais c’est que j’ai faim, moi.

Charlotte leva les yeux au ciel en secouant la tête de droite à gauche. Comme si Sandy avait entendu ce qui venait de se dire (ce qui est très probable puisqu’elle écoute les conversations de tous les clients ; enfin, de ceux qui lui plaisent, du moins), elle apparut devant eux pile à ce moment-là. Charlotte se résigna et déclara d’un ton las :

- Bon, prend quelque chose si ça te fait plaisir. Je te l’offre.

Sean sourit comme un enfant à qui on aurait promis une deuxième fête de Noël. Il commanda une gaufre au sucre en se frottant les mains comme un méchant de dessin animé ayant prévu un mauvais coup. Cependant, des deux comparses, je soupçonnais plutôt Charlotte de prévoir un « mauvais coup » :

- Une fois que vous aurez rapporté notre commande, je vous prie de ne plus venir nous déranger, s’il-vous-plaît, dit-elle avec un petit sourire pincé.

Sandy s’empara du billet qu’elle lui tendait avec dédain, vexée d’être mise à l’écart de l’amour de sa vie de cette façon. Une fois qu’elle eut rapporté le « goûter », Sean se jeta dessus comme s’il n’avait pas mangé depuis la dernière fois qu’il avait réfléchi. Il proposa même à Charlotte de mordre sa gaufre après lui. Celle-ci lui frappa aussitôt la main, et après avoir regardé furtivement autour d’elle pour vérifier que personne ne les avait vus, elle chuchota précipitamment, penchée vers lui :

- Sean ! Arrête ces sottises, on pourrait nous voir ! Il ne faut pas que ça se sache, c’est clair ?

Oh, comme c’est intéressant… Sean baissa les yeux comme un pauvre chiot qu’on réprimanderait. Avec un peu de concentration, on pourrait distinguer ses oreilles baissées. 
Prise de remords, Charlotte reprit d’un air séducteur :

- Allons, je ne voulais pas te vexer. En fait, je voudrais savoir quand nous pourrions recommencer.

- Oh, c’est vraiment sympa ça ! Si je m’y attendais ! Ah ça, oui ! J’aimerais beaucoup. Mais tu sais, on a vraiment beaucoup d’boulot au chantier. Ah ça ! On n’arrête pas ! Hier, Mike est tombé d’un échafaudage, du coup il est p’us là et ça fait deux fois plus de travail pour Bob et moi, tu comprends ? En plus not’ boss est hyper stressé en c’moment. Y paraît qu’son p’tit est malade. Tyler, qu’il s’appelle...

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