Chapitre 1 - Derek

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Je crois que j'ai toujours détesté la neige. Ce jour là, elle recouvrait la moindre parcelle de terre d'un grand linceul blanc, gelant tout sur son passage, animaux, végétaux et êtres humain.

Malheureusement pour moi, j'appartenais à la dernière catégorie et avançais péniblement dans la poudreuse collante, priant pour ne pas mourir congelé avant d'avoir regagné mon abris situé sur la cime d'un grand chêne, environné de pins, érables et sorbiers en tout genre très répandus dans cette région.

La plupart des végétaux présent subsistaient à l'état de squelette, pointant leurs bras décharnés vers le ciel et seul les conifères vert sombres apportaient une pointe de couleur dans le paysage monochrome.

Autour de moi, les eaux de montagnes déversaient leurs eaux cristallines sur les rochers fendus par le gel.
Ces torrents purs continuaient joyeusement leurs courses et chutaient du haut des falaises abruptes sur plusieurs centaines de mètres avant de s'écraser sur les rochers en contrebas en des milliers de diamants glacés, rompant le silence de la forêt.

Plus haut, les pics acérés des monts gris-verts déchiraient le ciel rempli de nuages et laissaient voir un bref aperçu du bleu céleste, formant comme une déchirure dans cette mer grise.

Bien qu'il soit aux alentours de 16 heures, le soleil particulièrement paresseux en cette saison, se couchait déjà au-dessus de l'horizon verglassé. Les derniers rayons de lumière se mêlaient étroitement aux ombres grandissantes, annonçant la fin du jour et le début d'une longue nuit d'hiver.

Cette intermède entre jour et nuit est connu de tous les habitants du Pôle comme le signal d'alarme : quand le soleil se couche, rentre chez toi ou on viendra te dégeler le lendemain au feu de bois.

C'était principalement pour cette raison que je bataillait férocement contre les éléments afin de regagner mon repère le plus rapidement possible mais tout semblait s'opposer à ce que je passe une nuit paisible, roulé en boule sous les couvertures : je chassait un lièvre blanc quand je réalisa qu'il était déjà 4 heures et que le soleil n'allait pas tarder à disparaitre derrière les monts enneigés.

Comme si je n'avait pas assez de problèmes, l'animal profita de ma distraction pour se faufiler à travers des fourrés, là où je ne pouvais pas le suivre.
Je me retrouvais donc seul, dans une forêt glaciale, tétanisé par le vent froid et le ventre vide.
Abattu, je m'enfonçais dans le bois afin de rejoindre le sentier conduisant à l'abri, situé plus profondément dans la montagne.
Soudain, un frisson de panique se propagea à toute vitesse autour de moi.
Les oiseaux rentrèrent à grands cris terrifié dans leur nid tandis que des lièvres isolés sortent précipitèrent des fourrés, affolés. Même un renard polaire - pourtant considéré comme le principal prédateur en l'absence de son confrère l'ourse et de son cousin le loup - s'enfuit dans un terrier avec des glapissements suraigus.

Je ne compris pas immédiatement le danger qui me guettait.
Lorsque j'enregistrais enfin que si tout le monde avait peur de quelque chose, j'avais de bonne raison d'éviter la chose en question, il était trop tard.

Le silence était revenu et tout était trop calme, presque immobile. Je me maudit de ma bêtise : quel abrutis d'être resté bras ballants quand tous fuyait! Même les lapins étaient plus futés et avaient pris immédiatement leurs pattes à leurs coups!

Le vent ne faisait plus bouger les pins et le bois était plongé dans un silence angoissant, comme attendant le drame.
Fort heureusement, il n'eut pas à attendre bien longtemps.
Au début, je vis seulement des rayures se promener sur la neige. Des rayures. Sur la neige. Je me pince, me gifle doucement mais je ne suis visiblement pas victime d'aluscinations.

Les mystérieuses taches noires étaient bien là, devant moi, ondulant avec grâce à un rythme aussi fascinant que mortel.
Je me pétrifie instantanément. Les seules créatures à posséder ce genre de souplesse dangereuse sont les félins et compte tenu de la taille de celui-ci, je dirais que mes chances de m'en sortir indemne ne sont pas bien minces.
La créature émit un grondement sourd, semblable à celui d'un lynx, en plus grave. Me remémorant mon expérience de ces félins, je reculais imperceptiblement millimètres par millimètres.
Seuls mes doigts remuaient nerveusement, tentant d'attraper l'arc que j'avais laissé tombé au sol sous le coup de la surprise, sans succès.

Le bête avançait lentement dans ma direction roulant doucement ses larges épaules, les babines retroussées.
Alors qu'elle n'étais plus qu'à quelques mètres de moi, son museau se fendit d'une sorte de grimace, presque un sourire. Elle semblait bien rire de cette petite chose qui tremblait de tous ses membres et avait 100 pourcent de chance de finir dans son estomac.
En revanche, la situation m'amusait beaucoup moins, moi. Je ne saurais dire pourquoi...

Les yeux toujours luisants, la bête se ramassa sur elle-même comme un ressort sur pattes, prête à bondir.
"Non, non, non !!!" marmonais-je, paniqué.
Perdu pour perdu, je fais demi tour et pique un sprint vers la clairière mais avant que je puisse prendre de la vitesse un énorme poids me tombe dessus.
Je suis allongé sur le ventre, au milieu de la clairière.

L'haleine chaude de la créature monte dans l'air froid.
Je sens son museau près de mon coup. C'est fini. Je vais mourir. Je vois ma vie défiler devant moi : mes jours heureux passés avec cette fille dans mon abri, les nuits froides passés seuls à errer, le grand vide de ma mémoire que j'ai tenté de combler désespérément, jours après jours.

Je n'aurais jamais trouvé la réponse à mes questions, finalement.
Pardonne moi, Rouge.
J'ai échoué.

Les griffes de la bête se plantent dans ma chaire, m'arrachant un cris de douleur pure.
Le sang écarlate gicle et forme une large traîné rouge sur la neige fraîche.
Soudain, la pression se relâche.
Le fauve éloigné ses imposantes mâchoire de ma nuque et j'entends une voix affolées crier et me secouer comme un poirier.

J'aimerais lui dire d'arrêter, mais je suis trop loin, trop engourdi pour articuler quoique ce soit. La voix s'éloigne. L'obscurité devient plus épaisse, presque solide et je sombre dans l'inconscience.

La Légende d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant