Chapitre 6 - Idriss

15 0 0
                                    

Je courais dans la forêt. Loin au dessus de moi, les montagnes couleurs sang brillaient de mille feu, malgré l'heure tardive et m'indiquaient la direction à prendre pour atteindre le village. Je courais toujours dans la nuit.

Au fur et à mesure de ma progression, la luminosité ambiante augmentait progressivement, au point de devenir aveuglante.
Soudain, je débouche sur le petit plateau sur lequel repose le village.

Je reste un instant perdue, désorientée devant l'horreur du spectacle qui s'offre à mon regard.

Partout où se posent mes yeux gisent des tas de cadavres sanguinolents, empilés pêle mêle dans tous les coins. Des hommes, des femmes, des jeunes gens, des enfants, dessus nouveaux nés qui ont été massacrés, déchiquetés comme de la viande sur l'étale d'un boucher.
Je les connaissaient.
Je les connaissaient tous.

À côté de la première maison, gisant dans une mare écarlate, il y avait Selion, l'épicier. Sur la pile de droite se trouvaient toute la famille Lenson, vidés de leur sang.
Étendus au centre de la rue les Devinnos écarquillaient désespérément leurs yeux vides, comme les têtes de veau qu'ils vendaient hier sur le marché.

Allongés sur le ventre se trouvaient les vieux Vinns, les doyens du village, se cramponnent l'un à l'autre, réunis dans une ultime et déchirante étreinte, morts depuis longtemps.

Le plus étrange, c'est que j'avais beau détester tous ces gens qui m'ont toujours rejetté, je ne comprenais pas leur mort. Mon cerveau n'acceptait pas cela, ne le concevait pas. Toutes ces personnes que j'ai vu grandir, vivre, évoluer et aimer depuis ma naissance ne pouvaient pas dispaître si vite.

Je tombais à genoux, sonnée. Le monde entier s'écroulait autour de moi, ravagé par les flammes.
Je fermai les yeux et pris ma tête dans mes mains, la serrant de toute mes forces. Ça ne peut pas être la réalité, non, c'est impossible. Mon cerveau refusait simplement l'idée que ce cauchemar n'en soit pas un.

Je restais prostrée quelques minutes en me bouchant les oreilles. "Assez !!! Taisez vous!! Je ne veux plus les entendre, ces gémissements des mourants, ces hurlements des vivants ! Je ne veux plus les voir !!! "

Un gloussement difforme s'échappe de mes lèvres. Cette situation est tellement loin de tout ce à quoi je m'attendais. Ma gorge émet son sourd, comme un fois rire étouffé. Je suis en train de hurler, mais rien ne sort. Mon âme résonnait tout entier des hurlements et des sanglots, mais mes yeux demeurent résolument secs.

Je me relève en titubant. Une douleur immense me submerge, m'entraîne dans des tourbillons violents. Je ne suis plus personne, plus rien, seulement un tronc carbonisé, arraché, déchiré par la souffrance. Ma bouche s'entrouvre dans un rictus. Un hoquet violent me secoue. Je suis en train de sourire. Une poutre calciner me fait fait tomber au milieu des cadavres comme un pentin désarticulé.

La digue cède. J'expose. Toute l'émotion, le stresse, la peur, la terreur, le chagrin de ces derniers jours me submerge, m'entraîne avec eux sans pouvoir résister.

Les rires se changent en hurlements quand un contact froid sur ma joue me fait trésaillir.
C'est un flocon.
Un petit flocons, curieux et discret, qui viens se poser délicatement sur ma joue comme autrefois.

Surprise, je m'arrête. Peu à peu, les derniers feux s'éteignent achevant les dépouilles de ceux qui furent jadis ma famille. Je ne les haïssais. Alors pourquoi ça fait si mal ? Une larme et s'écrase au sol. C'est fini. La rage a tout dévasté. Il ne reste que les larmes et les regrets.

Vidée, je regarde le village comme si je le voyais pour la première fois. Le sol se couvre de neige qui tombe par petits flocons triste.
Un léger roulement se fait entendre au loin. Progressivement, des vibrations se font sentir par terre jusqu'à faire trembler le sol. Apeurée, je recule dans l'ombre d'une ruine. Il était temps. Quelques instants plustard, cinq cavaliers en armure déboulent sur la voie qui traverse le village.

Vêtus de côtes de mailles noirs et de pantalons en cuir bouilli, ils ralentissent leurs montures et s'arrêtent sur la place centrale. Le premier, légèrement plus petit, d'avance vers ce qui semble être le meneur de la troupe. Son haume se prolongeait d'une longue plume moirée.
Intriguée, je m'avance douement vers le groupe.

" Il ne reste personne, chef. La seule encore vivante c'est la brune avec les tresses et le tablier vert. Une vrai furie celle-là."
Je trésaille.
Mina. Ce tablier, c'est son cadeau d'anniversaire pour ses 13 ans. Elle y tient plus qu'à la prunelle de ses yeux.

Un autre s'avance et lance un paquet par terre. Un bruit mat aussitôt suivi d'un gémissement retantit.
"Elle n'a rien dit." précise l'homme en enlevant le bâillon.
Le chef des incendiaires soupire et descend de sa monture. D'un pas souple, il s'avance vers mon assistante qui tentait en vain de s'enfuir.

Mon cœur me criait de courir vers elle pour la sauver mais mon instinct de survie m'en empêchait. Tout ce que je pouvais faire c'était rester cacher, tremblante.

L'homme était maintenant à quelques mètres d'elle. Perdu pour perdu, je me préparais à courir vers Mina.
"Le meilleur moment sera quand il se serait éloigné d'elle pour lui porter secours", sonheais-je. Je me cachais encore quand un horrible craquement se fit entendre, suivi d'une vague de hénissements paniqués. Une maison venait de s'effondrer sur la place et des étincelles avaient atteint un cheval qui ruait de douleur.

L'homme tourna un instant la tête, distrait. C'est le moment que j'attendais. Sortant de l'ombre, je me précipitai vers mon assistante, lui prends la main et me prépare à rebrousser chemin quand une poigne de fer me broie le poignet.

Je me fige instantanément. C'était trop tard. J'avais raté notre seule chance de nous enfuir.

S'agenouillant, il remonte la visière de son casque. Une abondante chevelure brune dégoulinant de son casque gris pour venir encadrer une tête maussade. Le chef devait avoir la quarantaine mais son visage carré lui donnait une expression sévère, ce qui le veillissait d'une dizaine d'années supplémentaires.
Deux fines rides verticales marquaient son front. Ses lèvres sérées, comme si le simple fait de devoir échanger des mots avec quelqu'un l'irritait au plus haut point. "Je suis le duc de Lintenquer. Je vais te demander de répondre à cette question. Si tu le fais, ton amie et toi seraient sauves. Où est la princesse Circeï ?" dit-il d'un ton hautain, économe en paroles.

Je le regardai, sans comprendre. Devant mon air ahuri, il se détourna en soupirant à nouveau. "Elles ne savent rien. Tuez-les". Ça y ait, l'ordre signant notre arrêt de mort est donné. Je fermais les yeux un instant quand les cadavres des villageois me revinrent en mémoire. Une colère noire m'envahit. Hors de question. Pas encore, je refuse.

Un assassin s'avance. Mais avant que j'ai eut le temps de réaliser le moindre geste, Mina se précipite devant moi. Un éclair argent fend l'espace, déchirant son tablier d'une large bande carmin. Je ne comprends pas ce qui se passe. Ce n'est pas possible, pas après tout ça. Pas après avoir tout perdu en une seule journée.

Je me laissais glisser au sol. Je n'ai plus rien, plus personne. La fine épée se lève une fois encore, pour moi cette fois. Je ne me débat plus. Si le destin en a décidé ainsi alors la lutte est inutile. Il faut accepter, c'est tout.

Soudain, alors que la lame allait mordre la chaire de mon coup, un crissement métallique retentit. Le choc de deux lames qui se rencontrent. Un juron furieux le suit : " Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce bordel!?"

La Légende d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant