Chapitre 2 - Cïrce

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Le froid me transperçait et mes cheveux détachés virevoltaient dans le vent et les branches s'attachaient à ma robe presque en lambeau.
Nous étions presque en décembre et la neige s'était installée, partout le linceul blanc recouvrait ce qui autrefois regorgeait de vie et sombrait maintenant dans le silence.
Il galopait a toute vitesse, parfois je me demandait d'où lui venait cette force inébranlable, mais j'ai foi en lui : il me protègera.
Sa fourrure soyeuse contrastait avec les brindilles rêches qui me griffaient le visage. Les flocons tachetaient ses rayures noirs de petits points blancs et les rendaient presque invisible dans le paysage d'une blancheur éclatante.

Cette pureté contrastait avec le gris sombre des murailles de pierres de la forteresse que j'avais quitté quelques heures auparavant.
La forêt avait succédé à la toundra polaire et les flocons se faisaient plus rare. Les sapins déposaient à notre passage de gros paquets de neige sur notre passage.

Progréssivement, Altaïr ralentit l'allure puis s'arrêta. D'un mouvement de museau, il me tira de la léthargie.
- Vous vous sentez bien, ma reine ?demanda-t-il, inquiet.
- Oui, ne t'en fait pas pour moi. Tu devrais plutôt te soucier de ton état : tu as galopé toute la nuit, lui répondis-je. Tu devrais te reposer.
- Vous avez raison. Je vais chasser le dîner. Ne bougez pas de là.
Je proteste vivement contre cette idée stupide, tentant de lui faire comprendre qu'il devait se reposer, mais allez faire entendre raison à un tigre de 200 kilos!
Il s'ébroua et s'enfonça dans le bois, me laissant seule au pied d'un chêne nu. La neige fraîche transperça ma robe, me faisant grelotter. Je me blottis au creux des racines géante de l'arbre, cherchant désespérément à me protéger des aiguilles de glace progettées par le vent polaire. Soudain, en dessous du tronc, j'aperçus une petite cavité dans la terre froide. Je me laissait glisser dans ce refuge inattendu et salutaire, à l'abri de la tempête qui faisait rage dehors.
Une fois l'adrénaline de la course folle retombée, les émotions de la journée m'écrasèrent d'un coup. En moins de 48h, j'avais été capturée 7 fois, enfermée 4, emprisonnée 3 et menacée de mort une bonne centaine de fois, sans compter les 24 tentatives d'évasion (dont 23 loupées et une de réussie).

J'avais l'impression que tout le stresse, toute l'inquiétude, toute la peur des deux jours précédents reposait sur mes épaules, me plaquait sur le sol, me consumait, me broyait complètement en anéantissant mes dernières forces.
Écrasant une larme d'épuisement qui perlait au coin des yeux, je fis taire le sanglot sourd qui montait dans ma poitrine. Rompue de fatigue, je fermais les yeux, épuisée, et m'enfonçais presque immédiatement dans un sommeil sans rêves.

Je ne me réveillai que quelques heures plus tard, encore plus épuisée qu'avant. Je m'extirpais péniblement de ma cachette et m'étirais en baillant.
Après avoir fini d'étirer mes muscles endoloris, j'observa la forêt qui m'entourait. Au premier plan, les troncs des sapins épais comme des piliers se mélaient à l'infini aux branches basses et aux arbres abattus par la précédente tempête. Le tout s'enfonçaient dans les procédures lugubres de la forêt.

À la recherche de quelques rayons de lumière pour me réchauffer, je posais prudemment mon pied sur la branche la plus basse. Après m'être assurer de sa solidité, je me hissa sur la suivante et ainsi de suite. Je me hissait progressivement hors du sous bois obscure, grimpant un peu plus haut à chaque fois.
Soudain, l'astre solaire ma frappa de plein fouet et je demeurais là, planté à califourchon sur ma branche, saisie par la beauté du paysage. Au-dessus de la cime des cimes les plus hautes s'étendaient à perte de vue un immense tapis vert, gris, marron, qui recouvrait toute la vallée et une partie des flancs des montagnes environnantes.
Plus haut encore, les conifères cédaient à la neige fraîche qui formait un matelas blanc jusqu'en haut des pics acérés et des arrêtes rocheuses. Là-bas, on observait de large traînées blanches, nuages de poudreuse soulevés par les vents violents.
De ces altitudes inhospitalières, le regard se perdait dans l'immensité azure du ciel dénuée de toute imperfections, bleu et lisse comme un joyau.
Le Soleil avait considérablement baissé au-dessus de l'horizon et de légers flocons virvoltaient dans l'air glacé quand soudain je ressentis un vertige intence. Le sol tangait sous mes pieds comme le pont d'un navire en pleine tempête. Je m'accroche désespérément à ma branche dans l'espoir de ne pas tomber : une chute de cette hauteur me serais fatale à coup sur. Je ferme les yeux tentant de réprimer une violente nausée. Une force irrésistible me happa d'un coup dans les ténèbres les plus épaisses. J'étais perdue dans le noir. Seule. Un mot résonne alors dans ma tête avec un grondement féroce : "Faim".

La vision se précisa. Je me tiens accroupie derrière un rocher recouvert de poudreuse. Le silence reigne dans la clairière bordée de bosquets squelettiques. Pas une trace de vie ne vient troubler la sérénité de l'endroit. Toute les proies se sont enfuient à mon approche. Je baille, exaspérée. Après la fuite d'aujourd'hui, il ne me reste plus assez d'énergie pour masquer mes traces et chasser proprement, comme Reagal me l'a enseigné aux Temps Anciens.
Soudain, une odeur bien connue effleure mes narines. Je dresse mes oreilles pour tenter de percevoir un bruit, intriguée. C'est alors que j'aperçois le petit homme, seul, s'agitant entre les sapins. Je plisse les yeux, hésitante : il est de la même espèce que ma maîtresse.
Puis, alors que je m'apprête à descendre de mon poste d'observation et à bondir, il s'immobilise, pétrifié. Alors je sents un frisson de plaisir me remonter l'échine jusqu'au cou et me saisir toute entière. Il m'as repéré et il a peur. Je flaire la peur qui émane de lui.
Chaque geste, chaque frisson, chaque mouvement révélait le sentiment de terreur absolue qui le transperssait, le paralysait complêtement. Mes sens sont décuplés et je perçois le monde entier : chaque flacon, chaque feuille morte depuis longtemps se balançant sur les branches survient par le gel, chaque raies de chaleur atteingnant mon pelage. Je ressens tout.
Un désir intense me broille les entrailles, me consume toute entière. C'est un souvenir, le sentiment bien de pouvoir absolu sur la proie. Cette sensation venu du fond des âges, lorsque je chassait dans les plaines du Sud accompagné de Reagal et Deneb, je m'en souviens, comme je me rappelle des parties de chasse à trois, des jeux dans la rivière et de ma première proie. Tout ces souvenirs affluaient tandis que je m'approche à pas feutrés de l'homme. Il ne bougeait pas, n'esquisse aucun mouvement. Sans le quitter du regard, je me ramasse sur moi-même et bondis sur lui toute griffes dehors.
Puis, le noir, encore.

Des formes floues dansaient devant mes yeux et mon esprit flottait, quelque part entre le corps et l'âme.
Soudain une image se forma dans mon esprit, d'une précision presque irréelle : du sang, une mare de sang écarlate sur la neige blanche.
"Oh non" pensai-je. Une fois sortie de cet état létargique au prix d'un immense effort, je parvins à me mettre debout sur mes jambes flagellants.
Je respirait un grand coup avant de m'enfoncer dans la végétation en courant. Il fallait que je retrouve Altaïr avant qu'il ne le tue. Mon estomac était encore noué après la vision cauchemardesque. J'avais été stupide. Ce n'était pourtant pas la première fois que mon lien m'arrachait hors de mon corps, mais jamais avec une telle intensité. J'esquivai une branche basse, soucieuse.
Si le tigre s'était véritablement attaqué à cet homme, alors celui-ci n'avait pas la moindre chance de survie. Je repérai les traces d'Altaïr à quelques pas de là, quittant les conifères pour s'engager dans les bosquets bordant le sentier escarpé. Sans hésiter une seule seconde, je suivis les marques en courant, consciente que la vie du garçon allait se jouer à quelques secondes près.

Après quelques dizaines de mètres au milieu des ronces et des sorbiers, je débouchai sur un rocher situé en surplomb de la clairière de ma vision. C'est alors que je les vois. Un cris d'horreur se noue dans ma gorge.
Je me précipite auprès des deux êtres, l'un puissant, sur, victorieux, l'autre mortellement blessé, écrasé par la domination impitoyable du tigre qui attendait trenquilement qu'il se vide de son sang.

À mon approche, le félin émis un grondement sourd mais avant qu'il ne puisse me dire quoi que ce soit, je le força à reculer et à laisser respirer sa proie.
Ignorant le regard lourd du tigre, je m'agenouille auprès du garçon. Ses nombreuses blessures saignaient abonnement et je me rendais bien compte qu'il n'y survivrait pas si on ne le soignait pas rapidement.
Ni une ni deux, je le chargea sur mon dos et parti dans la forêt. Sentant ma colère, Altaïr me suivait quelques mètres derrière la queue entre les jambes.

Je continuais d'avancer dans le bois, évitant les troncs et appelant à l'aide de toutes mes forces.
Soudain, je vis, tranchant le ciel bleu d'une large bande grise, la fumée d'une cheminée. Un soulagement sans borne m'étreint le cœur. Dans mon dos, je sentais le sang du blessé mouiller ma robe et la vie le quitter un peu plus à chaque pas. Je me dirigeais tant bien que mal dans la direction du feu en serrant les dents et priant pour arriver à temps.
J'avais la vie de cet homme entre mes mains.

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Bonjour à tous,
Je tiens à m'excuser du retard pour ce chapitre, qui aurait dû arriver depuis un petit moment 😅
Le prochain devrait être publié assez rapidement en compensation.
Merci à tous de lire ces chapitres😊

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