La Légende d'Eden

Chapitre 4 - Cïrcei

Je n'aime pas parler de moi. Pas par fausse modestie ou par peur du jugement des autres, mais parce que je ne vois aucun intérêt à le faire.
Le monde est tellement plus vaste et intéressant que soi, alors pourquoi discuter de ce qui est révolu ?  Pourquoi perdre du temps à parler du passé qu'il est impossible de modifier, alors que l'on peut se contenter du présent ? Tout cela est bien vain en somme.
Malgré cela, je n'oublie rien. Ni les années de traque et de peur, ni cette vie de souffrance et de misère, ni les humiliations et les blessures. Tout cela fait partie de moi, de ce que je suis. Mais au début, je n'étais personne.

"Je vis pour la première fois la lumière du soleil le 21 juin de l'an 823. Mes parents sont...".

Je stoppai net et me forçai à garder un air détaché. Un léger frisson me traversa de la tête au pieds. Avec ce que je m'apprêtais à confier à cette fille, c'était bien plus qu'un secret que je lui confiais : c'est ma vie que je remettais entre ses mains. Étais-ce vraiment nécessaire ? Oui, me hurlait mon cœur et mon âme. Le poids de tous ces secrets  pesait sur mes épaules comme une chappe de plomb, rendant chacun de mes pas de plus en plus difficile, de plus en plus dur.

Un besoin irrépréssible de m'arrêter et partager ce lourd fardeau me poursuivait. Le regard pénétrant de la guérisseuse ne me quittais pas, renforçant encore la tension qui se répandait dans la pièce, menaçant de se rompre à tout moment.
Après une grande inspiration, je me j'étais à l'eau et repris:
"Ma mère est Athleen, la treizième reine de l'Empire d'Eden, mon père est...
- ...inconnu, termina-t-elle doucement. Tu es la princesse Cïrcei, la troisième fille du roi."
Je fermais les yeux, attendant l'habituel ordre de renvoi prononcé avec frayeur. Mais au lieu de partir en courant ou de me mettre à la porte, Idriss se leva, se dirigea calmement vers l'unique fenêtre et tira les rideaux. Puis, elle revint trenquilement s'assoir sur la large bûche cylindrique qui lui servait de siège. Sans un mot, elle me pris la main, tout simplement. Alors je sentis un flot de compassion me traverser de par en par. Cette fille savait écouter. Idriss dit alors tout simplement :
"Comte moi ton histoire s'il te plait."

Je n'hésitais pas une seconde.

"Je suis née le 21 juin de l'an 823, en tant que membre de la famille royale d'Eden. Mais je ne le suis plus, j'ai été banie de chez moi. En fait, depuis le jour où j'ai poussé mon premier cris, mon existence est une erreur. Comme tu le sais, certains m'appellent la honte des rois ou la bâtarde. Il n'en a pas toujours été ainsi. Je me souviens du temps où j'étais encore la respectable princesse d'Eden, gardienne du royaume et de la Grande Salle du trésor Impériale.

Je revois les sourires jaloux et les flatteries menteuses des courtisans à la petite princesse que j'étais alors, leurs rires creux et leur gentillesse illusoire.
Partout où j'allais, leur masque vide me poursuivaient comme une ombre qui planait loin au-dessus de ma tête, toujours à l'affût du moindre signe de faiblesse où frapper.

Néanmoins, on peut dire que j'ai eu une enfance heureuse, loin de tous les soucis matériels qui accablent d'ordinaire tous les êtres quel que soient leur âge, comblée d'amour par mes parents et ma fratrie. De du point de vue fraternel, on peut dire que j'ai été gâtée par les dieux. Ekaël est de un an mon cadet. D'un naturel calme et curieux, il était de loin le plus assidu des trois enfants royaux durant  les cours. Il était toujours en train de lire quelque ouvrage emprunté à la bibliothèque du palais ou d'étudier avec les plus grands savants à l'observatoire.

Plutôt petit, yeux bruns et mèches foncées, il était le portrait craché de père, tout du moins quand il étais petit. À vrai dire, le prince et moi ne nous appréciions pas beaucoup et cela fait près de dix ans que je ne l'ai pas vu, précisai-je devant le visage étonné de mon interlocutrice. Aussi étais-je plus proche de ma grande sœur, Viranie. Elle est de deux ans mon ainée.