La Légende d'Eden

Chapitre 10 - Circeï

De fins filaments de brouillard s'accrochaient encore aux toits des maisons quand trois silhouettes surgirent au coin de la rue. Silencieuses, elles se dirigèrent vers le quartier des charpentiers avant de pénétrer dans une petite auberge aux murs blanchis par la chaux. La toiture en bois était inclinée et descendait en pente douce vers un fossé en contrebas, encadrant une petite ouverture qui servait de porte. Dehors, l'enseigne - représentant un chaudron et une chope de bière - se balançait paresseusement dans l'air froid, permettant aux rares patents illettrés d'identifier la boutique comme une taverne.

Ils y restèrent jusqu'à ce que sonnent les matines puis rejoignirent la Basilique. Je me redressai avec une grimace en massant lentement mes épaules. Le contact froid de la pierre nue avait complètement engourdi mes membres, et le vent glacial qui soufflait dans les rues transperçait nos minces capes de laine.
Depuis que nous étions entré dans la ville voilà trois bonnes heures, nous allions de surprises en surprises. Les gardes à l'entrée (ils semblaient bien méfiants pourtant) nous laissèrent pénétrer dans la cité sans même nous fouiller.

Il faut dire que le jeu d'actrice d'Idriss y étaient pour beaucoup : après une bonne demi-heure passée à larmoyer sur les malheureuses aventures des orphelins Ivanovich de la Noche
raz-marmotte Pamplemousse - mais comment a - t - elle déniché un nom pareil !? - les pauvres soldats n'avaient plus le cœur à empêcher leurs heureuses retrouvailles avec leur arrière grande tante, seule survivante de leur glorieuse lignée de rabotteurs de cintres.

Nous passâmes donc les murailles non seulement sans aucun problème, mais avec  en prime tous les conseils pratiques des meilleurs gardes / guides touristiques de la ville.
Cependant, les précieuses indications recueillies par notre conteuse en chef ne suffirent pas à nous épargner une longue errance à travers le tortueux labyrinthe de rues, places et ruelles enlacées qui constituaient le cœur économique de Tomsk, elle - même capitale du comté de Kouriatie sur lequel reignait la famille Lintenquer.

La cité était réputée dans le monde entier pour la qualité de ses fourrures et constituait l'un des points majeur de rencontre entre trappeurs et marchands durant l'automne. Néanmoins, en cette saison, personne n'échangeait quoique ce soit et Les Halles (cœur de l'activité commerçante) demeuraient désertes.

Au bout d'un moment, nous dénichâmes une auberge convenable pour notre budget. Derek et moi allions monter dans nos chambres quand un détail retint l'attention du chasseur : un pommeau gravé au blason des Lintenquer était calé contre le bois de la cheminée qui chauffait la salle commune.

La table était occupée par un groupe de trois hommes de taille moyenne portant de larges mantes grisâtre qui couvraient entièrement leur visage. Trouvant particulièrement suspect qu'un ambassadeur comtal descende dans une auberge miteuse, en cachant son visage qui plus est, j'envoyais Derek avertir Idriss qui était montée se reposer. Puis ni une ni deux, nous les prîmes en filature, laissant à la guérisseuse le soin collecter des renseignements à l'auberge.

Depuis, cela devait bien faire une heure que Derek et moi nous étions postés à l'angle de la rue du Coq d'or (sans aucun volatil à l'horizon et encore moins d'or) et de la Place du Cherche - Soleil (« Ils vont pouvoir le chercher encore longtemps » ironisait Derek, dont les lèvres étaient devenues bleues).

A notre droite, l'imposant édifice en pierres grises (sans doute consacrée à quelques divinité tutélaire) était complètement illuminé et d'étranges chuchotements filtraient par les vitraux de verre coloré. Intriguée, je sortis de la cachette et, luttant contre les rafales de neige, je m'approchais de la porte entrouverte de la Basilique. Les immenses battants de chêne renforcé de clous en bronze donnaient à l'entrée un aspect massif. Je me glissais discrêtement à l'intérieur de l'édifice.