La douce Mélancolie

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Mélancolie vivait dans une vieille maison en pierre, dans le quartier historique d'une petite ville. Elle y avait tous ses souvenirs. Chaque jour, elle surmontait ses rhumatismes et sortait se promener dans ces rues qui l'avaient vu vieillir. 

Elle s'asseyait sur un banc dans le parc municipal et elle regardait les autres vivre en se remémorant sa jeunesse. Ses journées suivaient sa routine, elle avançaient lentement, pas à pas. Elle repassait devant les bureaux où elle avait travaillé, l'école qu'elle avait fréquentée, la mairie où elle s'était mariée. 

Elle vivait seule maintenant, dans sa vieille maison de pierre, dans le quartier historique. Son chez-elle lui ressemblait : plein de souvenirs. Chaque espace était encombré de bibelots, de ces objets qu'on n'ose pas jeter parce qu'on nous les a offert ou parce qu'ils peuvent toujours servir ; des photographies jaunies par le temps décoraient les murs. 

Souvent, elle posait son manteau élimé sur le porte-manteau et montait au grenier. Elle y entreposait tout ce qu'elle ne pouvait pas ranger ailleurs, ses plus grandes peurs et ses mauvais souvenirs. 

Elle ne regardait même pas ces derniers et fouillait consciencieusement les vieilles malles de ses moments heureux. Son passé, elle voulait le garder lumineux, de cette lumière tamisée qui rappelle les soirées au coin du feu et les couchers de soleil. Ce reflet doré ne quittait jamais vraiment ses yeux, comme un défaut de vision qui rendait tout plus ancien, plus doux. Nostalgique. 

Dans son grenier, il y avait aussi cette lampe électrique dont la lumière trop crue lui faisait mal aux yeux. C'est son petit-fils qui la lui avait offerte, il y avait longtemps, quand il lui rendait encore visite. 

Elle était un peu triste mais elle ne lui en voulait pas. Progrès avait toujours eu les yeux fixés sur l'avenir. Elle, en revanche, était restée coincée dans son passé. Elle ne se permettait pas de lui faire la leçon mais elle se tenait en retrait en se disant que, de son temps, tout était plus simple.

Mélancolie sortait des coffres de vieux albums de sa jeunesse. Elle les ouvrait en faisant jaillir des petits nuages de poussière et feuilletait avec tendresse les clichés de ses vacances, de la naissance de ses enfants, de ses amis qui n'étaient plus là pour prendre un thé avec elle. 

Puis elle rangeait un peu, ouvrait en grand les fenêtres pour profiter des derniers rayons du soleil. Elle tirait difficilement des bûches dans la cheminée et allumait un feu réconfortant, quelle que soit la saison.  

Bien installée dans son fidèle fauteuil usé, elle sortait de sa bibliothèque ce livre qu'elle adorait et qu'elle avait déjà lu cent fois. 

En femme d'habitude, elle se couchait toujours à la même heure. Seule dans son lit trop grand pour elle, elle repensait inlassablement aux mêmes histoires, aux mêmes anecdotes. 

Mélancolie se souvenait de ses jeunes années avec un petit pincement au cœur. Elle se faisait plus heureuse qu'elle ne l'était vraiment alors. Elle savait que sa vision de son passé était faussée. Elle n'avait jamais ressenti ce plein bonheur qu'elle s'imaginait. Mais elle se refusait à assombrir cette seule lumière dans sa vie. 

Elle avait toujours sur les lèvres ce sourire doux et tendre, plein de sagesse et de regrets. Et si elle pleurait, ce n'était qu'une unique larme qui coulait, une larme qu'elle séchait aussitôt. 

Il est inutile de pleurer sur le passé. On ne peut rien y changer. C'était la devise de Mélancolie. Il vaut mieux ne garder que les bons moments et enfermer les mauvais loin de sa mémoire. 

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