Douleur & Tristesse

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Douleur n'était pas particulièrement cruelle. Elle faisait souffrir les gens, oui, mais elle n'était pas sadique pour autant. La meilleure définition de la souffrance qu'elle pouvait trouver se trouvait être elle-même. 

Constamment habillée de noire, couvrant son visage d'une voilette noire empêchant quiconque de distinguer ses traits, Douleur ressemblait à une veuve, ou du moins à une jeune femme endeuillée. 

Tout le monde l'avait déjà croisée. Elle provoquait des ruisseaux de larmes sur son passage. C'était usant. Elle en souffrait. Alors les autres souffraient encore plus. Elle assistait à pratiquement tous les enterrements. Elle errait sans but dans les hôpitaux, traînait dans les rues. 

Personne ne voulait jamais la voir. Pourtant, elle se considérait comme un passage obligé de la vie. Qui pouvait prétendre avoir profité de la vie s'il n'a pas souffert un minimum ? De la même façon qu'on ne profite du soleil qu'après la pluie, Douleur se sentait indispensable à toutes formes de joies. 

Elle l'était d'autant plus depuis que Joie les avait quitté, prenant sa retraite prématurément, s'enfermant dans sa vieille maison de pierre pour ne plus voir personne qui lui rappelle sa grande époque. Joie avait laissé sa trace dans le cœur des humains qui continuaient à la ressentir et Douleur faisait de son mieux pour qu'ils s'en rendent compte. 

Douleur avait mal. Rejetée de partout, chacun souhaitant sa mort sans se rendre compte de son importance, elle se sentait seule. Terriblement seule. Elle essayait de se faire pardonner pourtant. Si elle s'habillait en noir, ce n'était pas par plaisir. Elle voulait faire transparaître son respect envers ceux qu'elle touchait. Elle voulait qu'ils voient toute la tristesse que cela lui causait. 

Parlons-en de Tristesse. Depuis que cette pleurnicharde s'était mise en tête de la suivre comme son ombre, elle ne dormait plus. Toujours à être réveillée à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, Douleur sentait sa patience faiblir. 

Tristesse n'était pas laide mais elle avait en permanence ce rictus sur les lèvres, cette larme aux coins des yeux qui lui donnait un air de chien battu. Tristesse aussi était seule. C'était peut-être pour cela qu'elle la suivait. Elle n'était acceptée nulle part, pas plus qu'elle. 

Elles subissaient les mêmes reproches, tout en sachant provoquer les mêmes bienfaits. Mais elles ne se sentaient pas proches pour autant. Non. Elles agissaient sur des facteurs tellement différents. 

Douleur était palpable, concrète, physique, s'associant dans l'esprit des humains à une blessure réelle, au cœur la plupart du temps. Tristesse était plus diffuse, volubile, inatteignable. Elle envahissait l'esprit parfois sans raison, ne suivant aucune règle. Elle posait sa main sur une épaule en souriant misérablement, ravivant les souvenirs de Douleur. 

Elles se comprenaient en un sens, partenaires de malheur, condamnées à errer auprès de tous ses gens qui ne voulaient pas d'elles. 

Tristesse était plus vieille que Douleur. Elle avait connu un monde soudé, dont la veuve en noire n'avait jamais fait partie. Tout ce dont Douleur se souvenait, c'était de cette porte qu'elle avait franchie, qui l'avait conduite chez les Hommes. Elle avait brièvement rencontré ses congénères, juste avant que tout ne parte en vrille. 

Oubli ne venait pas souvent leur rendre visite. Il était censé veiller sur tous mais il devait les considérer comme suffisamment responsables pour s'occuper d'elles-même. Elles n'avaient jamais beaucoup de motivation pour faire quoique ce soit, de toute manière. 

Parfois, Douleur rêvait d'un monde où elle serait quelqu'un d'autre, quelqu'un que les gens aimeraient. Ça ne lui faisait que plus mal mais elle persistait. Dans ce monde, les gens la comprenaient, enfin. Et elle pouvait ressentir tout le bonheur qu'elle les voyait retrouver après son passage et qu'elle ne pouvait qu'imaginer. 

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