Oubli, le Gardien des Secrets

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Oubli était un gentil garçon. Il était très serviable. Quand le petit-fils de Mélancolie n'eut plus le temps de venir la voir, ce fut lui qui vint proposer son aide. 

Il portait les courses de la vieille femme et en échange, elle lui racontait ses souvenirs. Pas les plus importants, plutôt ceux dont elle n'avait pas parlé depuis longtemps. 

Parfois, elle lui offrait un thé. Oubli la remerciait en enjolivant un peu de vieilles images. Le passé devenait plus heureux. 

Oubli aimait aider les autres. Avec son visage d'ange, tout le monde lui faisait confiance. On lui racontait des anecdotes, les fins des livres, les dates d'anniversaire.

Oubli appréciait passer du temps avec des personnes âgées. Il adorait qu'on lui raconte des histoires.
Il arrivait qu'on le remercie d'être resté le temps d'un café. On l'emmenait au grenier et on lui offrait des bibelots, des photographies, des journaux.

Il prenait tout dans ses bras, guilleret. Il rangeait tout ce dont on lui faisait don au même endroit.

Il possédait un joli lac, si profond que même lui n'en connaissait pas la profondeur. Il jetait tout à l'eau. Les souvenirs disparaissaient sous la surface, sombraient dans le lac sans fond d'Oubli. 

De temps en temps, des inconnus se permettaient de pêcher sur son lac. Ils jetaient frénétiquement leur ligne et, allez savoir comment, ils repêchaient de vieilles affaires, des livres de comptes, un journal intime qu'ils s'empressaient de mettre au sec.

Oubli ne disait rien, c'était un gentil garçon. Il gardait les secrets qu'on lui confiait, pas ceux qu'on lui donnait. Lui-même avait une excellente mémoire. Il essayait de rendre aux gens les dates importantes, les heures de rendez-vous mais personne ne faisait attention à lui. 

Alors il finit par se taire. Il allait faire parler Amour et Haine de leurs histoires de cœur. Il était un peu responsable de leurs rabibochages systématiques. Si Haine ne faisait pas taire sa douleur et si Amour ne passait pas l'éponge sur ses années de souffrances, l'équilibre serait brisé. 

L'équilibre ne tiendrait pas non plus s'il ne s'arrangeait pas pour qu'Espoir ne prenne jamais son matériel d'escalade. 

Oubli se moquait de l'équilibre. Il aurait juste aimé qu'Amour et Haine se mettent ensemble, que Désespoir cesse d'en vouloir à son ami Espoir, que Folie et Raison ne se battent plus, que le petit-fils de Mélancolie vienne la voir régulièrement et que la vieille femme retrouve la forme qu'elle avait avant. Parce qu'il se souvenait du temps où ils vivaient tous en harmonie.
Mais ce temps lointain, il n'y avait que lui et Mélancolie pour s'en souvenir.

Il aurait aimé y retourner parfois, quand son cœur se déchirait face au désordre du monde. Sauf qu'il se souvenait aussi de pourquoi ils s'étaient séparés. Alors il continuait de se taire et il écoutait ce qu'on lui disait. 

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