Progrès s'agitait dans tous les sens dans son bureau. C'était un grand jeune homme nerveux, agité. Il ne savait pas tenir en place, toujours à tracer des plans, noter des idées, fabriquer des maquettes. Avec ses cheveux ébouriffés et ses tenues négligées, il avait des airs de savant fou. Ses sourcils broussailleux étaient froncés en permanence, concentrés sur une idée, un moyen de faire mieux, toujours mieux.
Il ne se reposait jamais, toujours cherchant, réfléchissant, étudiant. Il voulait créer un monde meilleur et, peut-être un jour, un monde parfait. Quand il aurait atteint cet objectif, il se reposerait. En attendant, il fallait travailler, examiner, expliquer aux humains comment faire.
Progrès n'aimait pas la compagnie des humains. Il les appréciaient, un peu, admirant leur capacité à faire durer les choses, à les stabiliser, les rendre utiles sur le long terme. Progrès était incapable de ça : se poser, profiter des fruits de son dur labeur.
Il se pouvait pas s'empêcher d'être insatisfait, de toujours vouloir plus. Il y avait encore tant de choses à faire, d'endroits à découvrir, d'objets à créer ! Il était capable de tout ça. Il fallait trouver l'humain, celui capable de comprendre ce qu'il faisait, de le faire partager à d'autres.
Progrès ne voyait pas l'avenir mais il avait une assez bonne idée de comment l'atteindre. Il faisait l'avenir, il le fabriquait en partie. Il en oubliait même sa propre vie, trop occupé à la consacrer aux autres. Il oubliait sa grand-mère, délaissée dans sa vieille maison. Il oubliait jusqu'à sa mère d'adoption, Tristesse, qui prenait ses absences comme autant de couteaux en plein cœur. Il vivait chez les humains, parmi les humains qui le considéraient comme un génie malgré lui.
Il n'avait rien à faire de la reconnaissance qu'on lui exprimait. Il voulait que le monde bouge, qu'il cesse de tourner si lentement ! Ses idées fusaient à la vitesse de la lumière et les mettre en oeuvre était aussi lent qu'ennuyeux ! S'il avait pu tout créer par la pensée, tout serait tellement plus simple et rapide ! Mais non, il devait faire avec les limites de la dure réalité, ce qui signifiait voir une nuit entière de réflexions détaillées s'étaler sur plusieurs décennies.
Les humains l'adoraient, parlaient de lui avec un grand sourire émerveillé. Qu'ils arrêtent de s'extasier et qu'ils s'activent ! Il y avait tellement de choses à faire encore et les humains mouraient si vite qu'ils ne pourraient sans doute pas voir le bout de ce qu'ils étaient en train de construire : un monde merveilleux.
Il lui arrivait de temps en temps de fermer les yeux une minute, rien qu'une minute, et de se souvenir du temps où il était enfermé avec sa famille. Il était alors contraint de conserver la plupart de ses idées pour lui. Les autres les comprenaient au début, puis il s'était rendu compte que ses idées n'étaient importantes que pour lui. Personne en-dehors de lui ne s'était véritablement intéressé à ses humains.
Il n'avait pas vraiment souffert de l'indifférence de sa famille face à ses projets. Il attendait son heure, patiemment. Maintenant qu'il était dehors, il fallait qu'il fasse vite. Il avait le devoir de faire avancer le monde, de le forcer à avancer. Il le traînerait s'il le fallait, de toute la force de ses bras maigres.
Il atteindrait son objectif coûte que coûte. Un jour.
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Le Petit Monde des Allégories
Short StoryAmour et Haine se poursuivent sans fin, Folie et Raison se battent sans fin, Et Colère, Oubli, Mélancolie, Justice et Pitié, Et bien d'autres encore, répètent sans cesse les mêmes actions. Seule une personne sait pourquoi tout cela ne finit jama...