Espoir & Désespoir

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- Tu es sûr que tu ne peux pas grimper par là ?

Espoir se tourna vers son compagnon, interrogateur. Ça ne devait faire qu'une dizaine de minutes qu'il était là et Désespoir en avait déjà assez.

Il était dans ce trou depuis si longtemps qu'il ne se souvenait même plus de ce à quoi ça ressemblait, dehors. Pour lui, le monde se résumait à ces parois de glace qui l'encerclaient continuellement.

- J'en suis sûr, crois-moi. Si je pouvais sortir par là, je l'aurais fait depuis longtemps.

Sa réponse fut un peu dure mais Désespoir ne savait pas faire autrement. Il ne savait plus. Ça faisait tellement longtemps qu'il était là qu'il avait oublié comment être gentil.

Espoir ne prit pas ombrage de son ton agressif et proposa : 

- Je suis sûr que tu passes ! Il faut juste que tu t'accroches bien. Tu vas voir. J'y arrive bien!

Désespoir ne répondit pas. La bonne humeur d'Espoir n'arrivait plus à le dérider. Il ne savait même plus si elle y était parvenue un jour. Il voulait juste voir le ciel. Dans son trou, la glace prenait toute la place. 

Espoir savait à quoi ça ressemblait dehors mais il ne voulait jamais le lui dire. Il lui souriait en sortant un de ces "Tu verras par toi-même !". Désespoir n'osait pas lui dire qu'il ne pensait pas pouvoir quitter son trou un jour. Il sentait la glace resserrer petit à petit ses griffes autour de son corps et de son esprit. Bientôt, il n'aurait plus suffisamment de chaleur en lui pour résister. Espoir ne comprendrait pas. 

C'était à chaque fois le même manège. Espoir tombait dans son trou gelé, il lui tapait la discute un moment puis il essayait de le faire sortir par cette faille minuscule entre deux parois. Il n'y avait que le corps d'allumette d'Espoir pour passer par là.

Espoir changeait alors de stratégie. Il lui proposait de grimper la paroi verticale, de se hisser là où la glace faisait un promontoire qui lui cachait le soleil et sortir enfin à l'air libre.

Et à chaque fois, Désespoir essayait. Et à chaque fois, il tombait. Espoir l'encourageait et essayait de l'aider mais avec ses muscles en guimauve, il ne servait pas vraiment.

Ils en étaient à cette étape-là. Espoir jeta encore un regard déterminé aux deux sorties. Désespoir posa une main sur son épaule :

- T'en fais pas. J'ai l'habitude.

- On peut le faire ! 

- Pars. Ça sert à rien qu'on soit tout les deux coincés ici.

Espoir se mordit la lèvre, indécis. Il pesa le pour et le contre. Son combat intérieur se lisait sur son visage. Il finit par prendre Désespoir dans ses bras : 

- Je reviens avec de quoi te sortir de là. Je te le promets.

- Je ne bouge pas. 

Il empêcha le sarcasme de se faire entendre dans sa voix. Où pourrait-il aller de toutes façons ? Espoir s'écarta et se faufila sans plus tarder dans la faille. Il courut le plus vite possible dans la neige. Il fallait qu'il sauve Désespoir. Il suffisait qu'il ramène du matériel d'escalade pour l'aider, ou qu'il trouve des gens pour le tirer de là. Ils allaient réussir, il en était certain. 

Désespoir resta un moment à fixer l'endroit où son seul ami avait disparu. La seule personne qui lui accordait de l'importance était partie. Encore.

Lentement, l'homme s'assit en face de la faille, le dos contre la glace. Il ne se souvenait même plus comment il était tombé dans ce trou. Il pouvait à peine y tenir debout.

Il haïssait la glace. Après l'avoir enfermé ici, elle avait envahi son cœur. Il battait douloureusement dans sa poitrine. Il se refroidissait petit à petit. Espoir le réchauffait un peu durant ses visites, plus assez cependant. 

Désespoir avait fait son trou ici. Ses épaules s'emboîtaient parfaitement dans la paroi, là où il les posait quand il attendait Espoir. 

Espoir. Il était sa seule raison de ne pas abandonner. Avant sa chute, avant la glace et la solitude, partout où il allait, Espoir, aussi petit soit-il, était toujours sur ses talons. 

Désespoir était terrifié à l'idée d'être seul. Ce sentiment allait bien au-delà de ce que gérait Peur, qui ne venait pas le chercher dans son trou. Quand il voyait Espoir partir, il doutait toujours. Et s'il ne revenait pas ? S'il ne voulait plus s'embêter à venir jusqu'ici ? 

Espoir l'avait cherché après sa disparition dans ce trou et il avait fini par le trouver. Il lui avait promis de le sauver. A chaque fois, Espoir disait qu'il amenait du matériel. A chaque fois, il l'oubliait. Ou il le perdait. A croire qu'il le faisait exprès, ou que les éléments s'étaient ligués contre la liberté de son ami. Mais il revenait le voir, parce qu'il en avait envie, parce que Désespoir lui manquait. 

Il se recroquevilla un peu plus sur lui-même. Il avait si froid. Il était si seul. Il gâchait la vie d'Espoir. Si seulement il pouvait abandonner, si seulement il en avait la force. Mais il était lâche et faible. Espoir aurait dû ne jamais revenir et le laisser dans son trou étroit bien trop grand pour lui. 

Espoir méritait tellement mieux qu'un ami comme lui, même pas fichu de se hisser hors de ce trou tout seul. Et Désespoir se détestait de ne pas avoir le courage de lui demander de ne pas revenir. Il ne pouvait pas s'empêcher d'être paralysé par l'idée d'être définitivement oublié de tous. Il ne voulait pas que tout ce qu'il ait fait jusqu'à présent se réduise à néant, même s'il n'était plus bon à rien.

Alors Désespoir attendait. Il essayait de se réchauffer en pleurant à chaudes larmes. Il s'apitoyait sur son sort. Il s'énervait d'être si inutile. Il criait sa rage et sa peine. Il insultait les murs de glace qui lui renvoyaient son reflet. Il attendait désespérément. 

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