Amour se tenait en retrait de la rue, loin de la lumière des lampadaires. La nuit était bien avancée. Le jeune homme tendit le cou comme un enfant impatient, cherchant du regard l'entrée de la boîte de nuit.
Le sommeil ne le gagnait jamais. Amour passait dans toutes les rues, devant tous les cœurs.
Ce n'était pas son rôle de créer des couples, ça non. Il se contentait de jeter des attirances par-ci, par-là. Il consolidait des affections et soudain, le garçon et la fille à côté dans le bus se regardaient et éprouvaient ce sentiment inexplicable, cette envie de revoir l'autre à laquelle ils ne savaient pas comment réagir.Amour adorait voir les autres sourire. C'est sa récompense pour leur avoir fait ouvrir les yeux. Ça le consolait aussi, lui qui n'inspirait d'amour à personne. Il y avait bien eu quelqu'un... mais elle avait disparu. Il l'aimait encore, comme un fou. Il ne savait juste pas où la chercher. Il croisait sa piste de loin, sans trop d'espoir. Si elle ne voulait plus de lui, qui était-il pour s'imposer ?
Les doubles battants de la boîte de nuit s'écartèrent brusquement. Deux jeunes hommes se tenaient par le col, le visage furieux. Amour allait pour s'approcher, prêt à dispenser sa douceur lorsqu'il la vit.
Là, derrière les deux bagarreurs, les yeux brillants d'excitation, la bouche grande ouverte pour laisser entendre les encouragements qu'elle leur adressait. La vision fut fugitive, à peine une seconde, le temps que les battants cessent de bouger.
Une seconde, c'était tout ce dont Amour eut besoin pour la reconnaître. Haine. Des années qu'il la cherchait et il la trouvait sans y réfléchir.
Il écarta doucement de son chemin les deux antagonistes, qui se figèrent aussitôt, les yeux pleins d'incompréhension. Amour pouvait faire cet effet-là aussi.
Mais il avait plus urgent à régler. S'engouffrant dans le bâtiment à la suite de sa bien-aimée, il sentit son cœur battre à nouveau dans sa poitrine.
Haine s'était enfuie tout de suite. Elle l'avait reconnu à l'instinct. Ça faisait une éternité qu'ils ne s'étaient pas vus. C'était dans d'autres lieux, sous d'autres apparences, dans d'autres corps. Elle ne voulait pas le voir, pas après ce qu'il avait osé lui faire.
Elle ne voulait plus souffrir par sa faute. Dès qu'elle eut quitté la fête, elle appela son ami de toujours, Peur. Il répondit aussitôt. Ensemble, ils partirent loin, très loin.
Peur la consolait de son trouble et il séchait ses larmes dans des dizaines de chambres d'hôtel, toutes différentes. Haine ne voulait plus penser à lui mais c'était impossible. Il lui avait envoyé son affection. S'il y a bien une chose dont il est difficile de se défaire, c'est d'Amour.
De son côté, Amour ne perdait pas espoir. Il suivait les traces de sa belle, interrogeait tous les réceptionnistes. Il la cherchait avec Courage qui l'avait rejoint. Toutes ses bonnes résolutions sur le respect de sa décision s'était envolées dès qu'il avait croisé son regard. Il avait senti qu'elle l'aimait encore, malgré toute sa rancœur. Il ne dormait pas, il ne s'arrêtait jamais. Il aurait préféré mourir que de cesser de chercher.
Haine le savait, le sentait. Elle se figurait ce jeune homme, épuisé, incapable de penser à autre chose, et elle avait mal. Elle qui avait l'habitude de lancer des piques, de faire fleurir les bourgeons de la vengeance, pour la première fois depuis des décennies, elle souffrait. Elle savait ce que c'était que de chercher quelqu'un que l'on aime sans le trouver, elle l'avait vécu.
Son cœur s'emballait quand elle pensait à lui et elle culpabilisait de le faire souffrir. Et un matin, l'évidence lui sauta aux yeux. Elle était assise sur une terrasse ensoleillée de Paris, la ville des romances, et la révélation fut si fulgurante qu'elle en renversa son café.
Elle aimait Amour. Elle n'avait pas à avoir peur de lui. Il ne voulait que son bonheur. Haine ne fit même pas attention aux tâches de café sur ses vêtements. Elle se rendit compte que Peur s'était envolé et que Courage avait pris sa place. Il la fixait, un sourire aux lèvres, l'air de dire "Tu vas attendre encore longtemps pour le rejoindre ?".
Haine sauta sur ses pieds, courut à sa dernière cachette, certaine d'y trouver l'élu de son cœur. Il n'y était pas. Mais elle ne désespéra pas et entraîna Courage dans ses recherches.
Elle ne savait pas qu'Amour avait arrêté de chercher. Ses échecs successifs, les pointes de déception qui piquaient son cœur à chaque fois que Haine lui faisait comprendre qu'elle ne voulait pas de lui l'avaient entraîné dans un abîme de souffrances.
Un sombre matin, il s'était assis sur son lit et avait laissé son cœur se durcir jusqu'à tomber en morceaux. Haine ne voulait pas de lui. Elle n'en avait jamais voulu. Il s'était bercé d'illusions.
Pourquoi les autres seraient-ils heureux s'il ne pouvait l'être ? Il était sorti, avait bousculé un couple dans la rue et, au lieu du jeu de regards habituel, les deux tourtereaux s'étaient jetés l'un sur l'autre, excédés.
Amour s'était fait un nouvel ami. Quand Peur avait quitté Haine, c'était pour le rejoindre. Il s'était assis à ses côtés et lui avait tendu les morceaux de son cœur brisé : "Si tu n'aimes plus personne, ça n'arrivera plus, j'en suis sûr."
Amour l'avait cru. Il était devenu Haine et Haine était devenue Amour. Elle le cherchait encore et toujours, pour lui déclarer ses sentiments.
Le temps passera et ils se retrouveront ; ils se retrouvent toujours. Ils sont les deux faces d'une même pièce. Et la pièce tourne, tourne, tourne...
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Le Petit Monde des Allégories
סיפור קצרAmour et Haine se poursuivent sans fin, Folie et Raison se battent sans fin, Et Colère, Oubli, Mélancolie, Justice et Pitié, Et bien d'autres encore, répètent sans cesse les mêmes actions. Seule une personne sait pourquoi tout cela ne finit jama...